Quelles perspectives pour les travailleurs en Afrique ?

30 novembre 2024

(Extrait d’une récente conférence-débat tenue à Abidjan)

L’Afrique représente 20?% des terres émergées, c’est l’équivalent de la surface réunie de la Chine, des États-Unis, de l’Europe, de l’Inde et du Japon. Elle possède une grande quantité de ressources naturelles, de terres cultivables ainsi que des femmes et des hommes qui ne demandent qu’à travailler. Malgré cela, l’écrasante majorité de ses 1,5 milliard d’habitants survivent dans la pauvreté, plus de la moitié de la population connait la faim. C’est pourquoi, chaque année, des milliers d’hommes et de femmes quittent l’Afrique malgré tous les risques qu’ils doivent courir, y compris celui de mourir dans le désert ou dans la mer, sans parler de l’argent à verser aux passeurs, pour tenter de pénétrer dans cette Europe qui leur apparaît comme une terre d’espoir.

Alors, pourquoi y a-t-il autant de misère sur ce continent si vaste et si riche en ressources naturelles ? Il y a des charlatans qui veulent nous faire croire que c’est parce que nous ne prions pas assez et que dieu nous a puni. D’autres disent que c’est notre destin et qu’on n’y peut rien puisque c’est déjà écrit quelque part. Il y a des politiciens et des intellectuels de la bourgeoisie qui pensent que nous sommes trop ignorants pour comprendre toutes ces choses-là et qu’il faut les laisser tranquillement diriger le pays parce que eux, ils ont fait des études et savent ce qu’il faut faire pour sortir le pays du sous-développement, et patati et patata. Ceux-là sont aussi des charlatans version « moderne », et ils sont grassement payés pour nous raconter des salades. Ils veulent nous faire croire que nous sommes tous sur le même bateau et que nous devrions nous serrer les coudes pour les « intérêts supérieurs » de notre pays. Ils font leur métier de défenseur des intérêts de la bourgeoise et pendant que la majorité de la population se serre la ceinture, eux ils mènent la belle vie dans leurs beaux quartiers. Tant qu’ils continueront de faire leur métier de chefaillons des puissances impérialistes, celles-ci les laisseront gouverner en leur laissant quelques miettes de l’exploitation de la classe ouvrière et de la petite paysannerie, y compris le droit de s’enrichir eux-mêmes sur le dos de leur peuple.

La situation catastrophique des travailleurs et de la population pauvre en Côte d’Ivoire et dans bien d’autres pays du monde, n’a rien à voir avec le destin ou le manque de chance. Elle découle logiquement du fonctionnement du système capitaliste et de son histoire. Ce système est basé sur la propriété privée des moyens de production, sur la concurrence et la recherche du profit maximum tiré sur le dos de ceux qui produisent les richesses, c’est-à-dire les travailleurs des villes et des campagnes. Le produit de la richesse est détenu par une toute petite minorité au détriment de la grande majorité. Un tel système ne peut créer que des inégalités et des injustices sociales, il mène l’humanité toute entière vers la barbarie, la guerre et la dévastation.

La bourgeoisie africaine, une classe compradore

La bourgeoisie africaine n’est pas une concurrente des capitalistes étrangers mais, au contraire, une classe intermédiaire et dépendante de la grande bourgeoisie des pays riches. Son sort est lié à la petite place que lui laissent les trusts et les multinationales dans le pillage de son propre pays. Elle vit à l’ombre du pouvoir et contrairement à la fable qui raconte qu’elle pourrait sortir les pays africains du sous-développement, elle est incapable de développer les infrastructures, les routes, les réseaux d’eau et d’électricité qui sont pourtant vitaux pour des millions d’Africains. Prenons le cas des lignes de chemin de fer réalisées pendant la colonisation avec le sang et la sueur des travailleurs enrôlés de force. Elles sont dans un état lamentable, presque à l’abandon car les États africains ne sont pas capables de les entretenir et attendent que des rapaces comme Bolloré viennent les « sauver » de la mort. On ne parle même pas de la construction de nouvelles lignes qui pourraient êtres utiles pour voyager et transporter des marchandises à moindre frais et avec plus de sécurité.

Le mythe du «?développement de l’Afrique?» est d’autant plus délirant qu’en réalité, à force de pillages et de guerres, bien des États sont entrés en déliquescence et ne contrôlent plus leur propre territoire. En Afrique centrale, en Somalie, en Éthiopie, au Soudan, des millions d’êtres humains sont depuis trente ans des réfugiés à vie.

Les guerres fratricides, les génocides et les barbaries qui tuent, mutilent et affament dans de nombreux pays africains sont le produit de la misère et du chaos provoqués par la domination impérialiste. La stabilité d’un État n’est pas une question de « culture démocratique » comme on entend souvent, mais repose sur un certain niveau de développement économique permettant à l’État de la bourgeoisie de jouer jusqu’à un certain niveau le jeu de l’alternance du pouvoir. Si certaines conditions sont remplies, l’État peut faire semblant d’être au-dessus des classes et se poser comme garant de l’intérêt général. Les États africains, eux, n’ont jamais réuni ces conditions. Dans un pays pauvre, presque sans industrie, le pouvoir d’État est surtout un moyen d’enrichissement. Engels, un des principaux penseurs et militants révolutionnaires socialistes qui a éclairé le mouvement ouvrier au 19ème siècle, a défini l’État par cette formule : une bande d’hommes armés au service de la classe dirigeante. C’est exactement ça qu’on voit dans nos pays sous-développés !

Le prolétariat, force sociale de l’avenir

L’arrivée du capitalisme sur le continent africain pendant l’ère coloniale à démoli les conditions d’existence de la population des campagnes. Cette transformation s’est poursuivie après la décolonisation. Aujourd’hui près de la moitié de la population africaine vit en ville. Par exemple, la ville de Bamako, comptait à peine 100 000 habitants au moment de l’indépendance. En 2022, il y en avait 4 millions ! Et un plus grand nombre encore de Maliens sont partis dans les grandes villes des pays voisins, à Abidjan, à Dakar, et une minorité a émigré vers l’Europe, notamment à Paris. Abidjan comptait 150.000 habitants en 1960, aujourd’hui, elle en compte 6 millions !

C’est un bouleversement immense, du même type que celui que décrivait Karl Marx il y a 150 ans pour l’Europe. Plus que jamais, le capitalisme mondialisé brise par le feu et le sang l’isolement des villages et des nations, il forge une armée de millions de prolétaires. Ce prolétariat pauvre que la bourgeoisie capitaliste exploite à mort pour un salaire de misère, ce prolétariat que l’État méprise et chasse violemment à coup de bulldozers le plus loin de la ville comme si c’était des animaux nuisibles, ce prolétariat qu’on n’accepte que s’il se soumet à la volonté et à la rapacité de l’exploiteur, est pourtant la seule classe porteuse d’avenir, la classe qui peut libérer la société toute entière de l’exploitation et de la barbarie si elle prend conscience de la force immense qu’elle représente. Comme le proclamait déjà le Manifeste communiste, « la bourgeoisie prouit ses propres fossoyeurs » !

En Afrique comme partout sur la planète, les travailleurs sont à la base de toute la richesse, sans eux la société ne fonctionnerait pas. La grève des dockers à Abidjan et à San-Pedro, il y quelques années, a montré qu’aucune marchandise ne sort et n’entre s’ils arrêtent de travailler. Plus récemment, les travailleurs de la zone industrielle de Yopougon ont aussi fait la même démonstration en paralysant par la grève l’ensemble des entreprises de la zone.

Dans le secteur du bâtiment, il y a aussi de nombreuses grèves. Celles-ci peuvent se transformer en grève générale si les travailleurs s’organisent dans ce sens et prennent conscience que c’est tous ensemble qu’on est fort et que quel que soit notre métier, on appartient a la même classe ouvrière et on a les même intérêts face au patronat.

Nécessité d’un parti ouvrier communiste et révolutionnaire en Afrique… et partout

Les grandes villes d’Afrique sont des chaudrons bouillonnant, mais la pauvreté et la misère ne conduisent jamais de façon spontanée vers les idées de lutte de classe et vers une prise de conscience politique. Le parti révolutionnaire qui a manqué au jeune prolétariat africain lors de ses nombreuses luttes durant la colonisation, lui manque toujours cruellement aujourd’hui. La différence c’est qu’actuellement le prolétariat est beaucoup plus important donc plus puissant face à la bourgeoisie.

La classe ouvrière peut arracher des revendications salariales et des droits, mais toute seule, isolée à l’intérieur des frontières nationales, elle ne peut pas renverser le capitalisme et mettre fin à l’exploitation. C’est une lutte qui ne peut se gagner qu’à l’échelle internationale. Dès le départ, les militants qui veulent s’engager dans la lutte pour renverser la bourgeoisie doivent prendre conscience que la lutte pour changer radicalement la société et la débarrasser du capitalisme ne peut se concevoir qu’à l’échelle internationale. Cela nécessite que le prolétariat se dote d’un parti communiste révolutionnaire à l’échelle mondiale, un parti capable de le guider et de déjouer les pièges que lui tendront ses adversaires et ses faux-amis.

Nous ne savons pas quand et comment les travailleurs des usines, du bâtiment, des mines ou des grandes plantations parviendront à prendre conscience qu’ils représentent une force considérable et que s’ils sont organisés politiquement ils peuvent changer la société de fond en comble. Ce que nous savons, c’est que tant que le système capitalisme continuera, la misère et les guerres ne disparaitront pas. La classe ouvrière est la seule classe capable de mettre fin à ce système basé sur l’exploitation de l’homme par l’homme. Mais cela ne sera possible que si elle renverse la bourgeoisie et son État et exerce elle-même le pouvoir en faisant fonctionner l’économie autrement, c’est-à-dire en fonction des besoins de la grande majorité et non pas des exploiteurs et des parasites de la société. Un État dirigé par les travailleurs sera mille fois plus démocratique que celui de la bourgeoisie.

Il y a plus de cent ans, la mondialisation capitaliste avait fait naître dans la Russie tsariste le prolétariat le plus jeune, le plus exploité d’Europe. En 1917, défiant bien des pronostics et des préjugés, ce furent ces travailleurs russes qui reprirent finalement le meilleur des idées révolutionnaires. Ils ébranlèrent le monde et prirent le pouvoir. Ils régénérèrent aussi le mouvement ouvrier en lui montrant la voie à suivre et en l’aidant à s’armer politiquement. Aujourd’hui, le prolétariat d’Afrique a bien des traits similaires. Il est jeune, combatif, concentré dans d’immenses villes. On ne peut pas savoir dans quel pays, d’Afrique, d’Europe, d’Amérique ou d’Asie, démarreront les prochaines luttes décisives des travailleurs, mais elles exploseront nécessairement.

La perspective de la révolution ouvrière n’est pas un rêve, elle est inscrite dans l’évolution de l’économie mondialisée actuelle et dans la marche de la société humaine. S’engager dans ce combat, c’est finalement la seule manière solide de préparer une page nouvelle, pour l’Afrique comme pour l’humanité entière.