Éditorial

Une étincelle peut dégénérer en guerre

15 février 2018

SÉNÉGAL-MAURITANIE

 

Le 27 janvier dernier, une pirogue de pêcheurs sénégalais a été arraisonnée en mer par les gardes-côtes mauritaniens. Ceux-ci ont ouvert le feu et tué un des pêcheurs ; huit autres ont été arrêtés et conduits à Nouakchott. Ces pêcheurs habitent dans le village proche de Saint-Louis, tout proche de la frontière mauritanienne. Ils ont l’habitude de pêcher dans cette zone frontalière où, sans GPS, il n’est pas facile de savoir où se trouve exactement la frontière entre les deux pays. Cette fois-ci, ils ont eu le malheur de s’être trouvés à l’intérieur de la zone de pêche mauritanienne sans être en possession d’une licence. Les gardes côtes mauritaniens ne leur ont pas fait de cadeau.

Dès que les habitants de Guette Ndar ont appris qu’un des leurs a été tué, ils ont voulu se venger en s’en prenant à des ressortissants mauritaniens installés à Saint Louis. Plusieurs boutiques appartenant à ces ressortissants ont été pillées, une incendiée ainsi que quelques voitures garées en ville. Heureusement que les autorités des deux pays ont tenté de calmer les esprits car cet incident aurait pu dégénérer en conflit plus grave.

Ce n’est pas la première fois qu’un tel conflit a lieu dans cette zone de pêche. Du fait du pillage des côtes par des chalutiers venant d’Europe ou d’Asie, les poissons se font plus rares, ce qui oblige les petits pêcheurs locaux à s’aventurer toujours plus loin jusqu’à se retrouver dans la zone du pays voisin. Lorsqu’il s’agit de gros bateaux de pêche qui capturent des poissons par centaines de tonnes, les autorités (tant mauritaniennes que sénégalaises) ne sont pas aussi tatillonnes. Elles ont plutôt tendance à fermer les yeux moyennant quelques bakchichs. Mais avec les petits piroguiers, elles sont plus sévères car ceux-ci n’ont pas les moyens de les soudoyer.

Cette-fois-ci, le conflit n’a pas dégénéré en conflagration entre les deux pays, mais il faut se rappeler qu’en 1989, une guerre a déjà eu lieu entre ces deux pays, liée à un vieux contentieux concernant le tracé de la frontière datant de la décolonisation. Le fleuve Sénégal sépare les deux pays mais de part et d’autre de ce fleuve vivent les mêmes populations. Certains villages sont parfois coupés en deux parce que la frontière passe au milieu. Il arrive que dans certaines familles se trouvant à cheval sur la frontière, une partie soit sénégalaise et l’autre mauritanienne.

C’est une aberration et un véritable calvaire pour les populations riveraines mais les dirigeants politiques des deux pays considèrent cette frontière tracée par le colonialisme français comme « sacrée et intangible » et ils sont prêts à en découdre au moindre incident.

C’est ainsi que le 9 avril 1989, dans le village de Diawara situé au Sénégal oriental, un banal accrochage entre des bergers peuls mauritaniens et des paysans soninké sénégalais s’est transformé en une véritable guerre entre les deux pays. Deux Sénégalais sont tués, plusieurs grièvement blessés, et une douzaine retenus en otage. Quelques jours après, des commerçants mauritaniens sont lynchés et pillés à Dakar et dans d’autres villes du Sénégal tandis qu’à Nouakchott des centaines de Sénégalais sont tués ou mutilés. On ne connait pas exactement le nombre de morts de part et d’autre. Officiellement, 170 000 ressortissants mauritaniens vivant au Sénégal ont été rapatriés tandis que 60 000 ressortissants sénégalais vivant en Mauritanie ont fait le chemin inverse. Les relations diplomatiques entre les deux pays ont été rompues jusqu’en avril 1992 mais le problème de ces réfugiés n’est pas encore définitivement réglé jusqu’à nos jours.

Si un conflit tout à fait ordinaire entre éleveurs et petits paysans a pu se transformer en déflagration généralisée, c’est surtout à cause des dirigeants politiques des deux pays qui n’ont jamais cessé de propager les discours nationalistes contre leurs voisins. Les cicatrices de cette guerre ne sont pas encore totalement fermées et à tout moment ce conflit latent peut de nouveau dégénérer à la suite d’une étincelle comme celle de la mort du pêcheur sénégalais de Saint-Louis.

De part et d’autre, des politiciens en mal de pouvoir peuvent être tentés d’attiser la haine du voisin pour satisfaire leurs ambitions personnelles. Ils sont prêts à sacrifier la vie des autres pour parvenir à leurs fins. Les travailleurs doivent se méfier d’eux comme de la peste. Leurs ennemis ne sont pas ceux qui vivent de leur travail et qui se trouvent de l’autre côté de la frontière mais ceux-là mêmes qui les exploitent et les oppriment quelle que soit leur nationalité, leur ethnie ou leur couleur de peau.