Éditorial

Une crise politique au sommet du pouvoir qui en cache peut-être une autre plus profonde

05 mai 2019

MALI

 

En poste depuis 16 mois, le premier ministre malien, Soumeylou Boubèye Maïga, a été contraint de présenter sa démission le 18 avril dernier. Même les députés de son propre camp ont voté pour son renvoi. Il a été remplacé par son ministre de l’Economie et des Finances, Boubou Cissé.

Ce qui a précipité sa démission, ce n’est pas la fronde des députés mais surtout la fronde du milieu religieux dirigé par l’imam Mahmoud Dicko, très influent au sein du Haut conseil islamique du Mali (HCIM). Ce dernier vient de quitter la présidence de cette organisation musulmane mais il reste toujours l’homme qui rassemble des foules lors de grands meetings pour fustiger la politique du gouvernement malien, notamment contre l’ancien Premier ministre. Il a dénoncé pêle-mêle, son « laxisme » en matière d’enseignement dans les écoles publiques. Il a accusé ce premier ministre d’être un anti musulman en voulant introduire une petite dose d’éducation sexuelle jugée trop « occidentalisée ». Ce dernier a dû faire marche arrière en supprimant ce petit chapitre mc’était trop tard aux yeux des tenants de l’islam rigoriste. Il est aussi accusé de « mollesse » en matière de lutte contre la délinquance (les partisans de Dicko veulent que la peine de mort soit appliquée contre les délinquants), d’être « incapable » de faire face à l’insécurité dans la nord et dans le centre du pays, de laisser la part trop belle aux forces françaises dans la gestion du conflit militaro-politique qui prévaut dans le Nord, etc.

Toutes ces diatribes lancées par l’imam Mahmoud Dicko rencontrent un écho favorable au sein de la population, plus particulièrement dans la capitale où plusieurs dizaines de milliers de personnes se rassemblent dans le stade ou sur la place publique pour écouter ses prêches. Il a profité de l’énorme émotion de la population suite au massacre perpétré le 23 mars dernier par des miliciens armés contre le village peul d’Ogossagou. À son appel, entre autres, plusieurs dizaines de milliers de personnes (30 à 50 000 selon certains observateurs) ont manifesté le vendredi 5 avril dans la capitale. On pouvait lire sur les pancartes des slogans comme : « Stop au génocide de la France au Mali », « Le seul problème du Mali, c’est la France ». D’autres slogans portaient sur « la mauvaise gestion » du gouvernement et demandaient la démission du Premier ministre, voire du président malien.

Le récent retrait de l’imam Dicko de la présidence du HCIM est loin de signifier la baisse de son influence mais probablement une lutte au sommet de cette instance entre différents clans, ceux qui sont plutôt favorables au pouvoir et ceux qui lui sont de plus en plus hostiles. Il n’est pas impossible que Dicko ait une ambition politique qui dépasse la simple direction de cette instance religieuse. Certains disent qu’il attend son heure. En tout cas, les travailleurs, et plus généralement, les populations pauvres excédées par la gabegie au sommet du pouvoir, par les détournements de fonds et la dilapidation des deniers publiques par une clique autour du cercle présidentiel, n’ont aucun intérêt à favoriser la montée en puissance d’un imam comme Dicko (ou d’autres) car leur arrivée au pouvoir ne signifiera aucunement un progrès dans quelques domaines que ce soit. On a vu à Tombouctou et dans certaines localités au nord du Mali ce dont ces gens-là (ou leurs semblables d’autres tendances) sont capables d’imposer lorsqu’ils parviennent au pouvoir.

Dans la crise actuelle, les travailleurs ont des choses à dire et à réclamer en tant que classe sociale exploitée. Les enseignants tout dernièrement, le personnel hospitalier, les magistrats, les employés des ministères et d’autres secteurs de l’administration comme celle des territoires, ont montré leur colère contre la dégradation de leur pouvoir d’achat. Leurs grèves avaient secoué le pouvoir jusqu’au sommet. C’est d’ailleurs suite à ces grèves qu’IBK avait nommé Soumeylou Boubèye Maïga au poste de Premier ministre dans l’espoir de désamorcer la fronde sociale. La seule force sur laquelle les travailleurs peuvent compter, c’est celle de leurs propres luttes autour des revendications propres à eux, tout en se méfiant des faux amis qui ne manqueront pas d’utiliser de la démagogie pour s’appuyer sur leurs luttes.