Le pouvoir d’Ibrahim Boubacar Keita face à la grogne sociale
MALI
Depuis le début de cette année, l’État malien est confronté à une vague de contestation sociale. De nombreuses grèves catégorielles (dont certaines ont duré plusieurs semaines) ont eu lieu, plus particulièrement dans le secteur public. Certains médias locaux parlent de « grogne sociale », de « grèves en cascade », voire d’« épidémie de grèves ».
Ce sont les magistrats qui ont commencé à cesser le travail le 9 janvier. Les deux syndicats de leur corporation ont appelé à une grève de sept jours pour obtenir notamment des augmentations de salaire, des primes ainsi qu’une révision de leurs statuts. Devant l’attitude méprisante du ministre de la Justice qui leur a répondu sèchement que l’État malien n’a pas les moyens de satisfaire leurs revendications, les magistrats ont durci leur mouvement en décrétant une « grève illimitée ».
Ensuite, cela a été le tour des Inspecteurs de travail, du 16 au 20 janvier sur l’ensemble du territoire pour exiger « l’application immédiate de tous les points d’accord du Protocole d’accord du 29 juillet 2011 » ainsi que le payement des primes et des indemnités pour eux et leurs assistants.
Le Syndicat national des greffiers (SYNAG) a aussi déposé un préavis de grève pour les 15 et 16 février 2017, suivi par le syndicat des travailleurs du ministère des Affaires étrangères et celui des fonctionnaires des Collectivités territoriales.
Depuis le 9 mars, c’est le personnel hospitalier du secteur public qui s’est mis en « grève illimitée ». Les trois grands hôpitaux de Bamako sont en cessation de travail (sauf les services d’urgence) de même que ceux des districts sanitaires de l’intérieur du pays. Les employés revendiquent de meilleures conditions de travail, du matériel pour les labos, des primes et des salaires décents. Rappelons que l’année dernière, il y a déjà eu plusieurs grèves dans les hôpitaux pour les mêmes motifs mais le gouvernement est resté sourd. Maintenant que la grève a repris, les autorités ont le culot d’accuser les grévistes de mettre la vie des patients en danger alors que ce sont elles qui sont responsables de la dégradation des soins dans les hôpitaux publics du fait de leur incapacité d’en assurer le bon fonctionnement !
Dans les villes et les localités du Nord du pays, les enseignants sont aussi en grève. Ils veulent que le gouvernement assure leur sécurité face à la menace qu’ils subissent de la part des mouvements armés islamistes. Ceux-ci veulent les empêcher d’enseigner d’autres matières que le Coran. Les enseignants exigent aussi une prime de risque que le gouvernement leur refuse. Ils sont en effet livrés à eux-mêmes et doivent parcourir des kilomètres pour toucher leurs maigres salaires en allant dans les banques qui n’existent que dans les grandes villes. Plusieurs d’entre eux ont ainsi été victimes d’agressions de la part de bandits armés qui leur ont pris leur argent ou les produits achetés en ville. Ils ont par conséquent décidé de ne pas reprendre les cours tant que le gouvernement n’aura pas répondu favorablement à leurs exigences. Là aussi, le gouvernement a tenté d’opposer les enseignants grévistes aux parents et aux élèves, mais en vain.
Ces quelques grèves qui ont commencé depuis le début de cette année en annoncent-elles d’autres ? Ce n’est pas impossible car la majorité des petits salariés du public comme du privé n’en peuvent plus de se serrer la ceinture devant la hausse incessante des prix de produits de première nécessité alors que leurs maigres salaires sont bloqués. Cela dure depuis des années et devient de plus en plus insupportable.
L’année dernière, le gouvernement a déjà reçu un coup de semonce. À l’appel de la Confédération syndicale des travailleurs du Mali (CSTM), une grève générale de 48 heures a eu lieu le 21 et 22 mars pour réclamer des augmentations de salaires, entre autres. Elle a été largement suivie. Par la suite, il y a eu certes des concertations entre le pouvoir et les directions syndicales mais la majeure partie des revendications n’a pas été satisfaite.
Hier comme aujourd’hui, la réponse du gouvernement est toujours la même : il n’y a pas d’argent dans ses caisses pour répondre favorablement aux revendications. Cela ne l’a toutefois pas empêché de dépenser plusieurs dizaines de milliards de CFA dans le recrutement de plusieurs milliers de soldats, et dans l’achat de matériel militaire flambant neuf afin de renforcer l’armée. Où a-t-il trouvé ces autres milliards pour créer les « nouvelles autorités intérimaires régionales » qui ne sont rien d’autres que des postes de sinécures destinés à satisfaire l’appétit des signataires des « accords de paix » dans le Nord du Mali ? Combien a coûté le nouvel avion présidentiel que s’est offert IBK dès le début de son mandat pour satisfaire ses caprices ? L’ancien avion de son prédécesseur ATT était pourtant toujours en fonction mais pas assez luxueux à son goût.
Il est devenu presque de notoriété publique que l’activité principale du clan d’IBK au pouvoir est de s’enrichir en mettant la main sur les deniers publics. Le président a placé les siens (à commencer par sa propre famille) dans les postes clé de l’appareil d’État, là où l’accès à l’argent public est le plus avantageux. Le népotisme et le clientélisme ont atteint un tel degré que de nombreux Maliens ont surnommé IBK « Monsieur ma famille d’abord » !
Face à la contestation sociale qui risque de mettre à mal son pouvoir, IBK essaie de détourner l’attention de la population en entonnant le clairon du patriotisme face à ceux qui au Nord ou au centre menaceraient l’unité nationale. Il se déclare aussi le champion de la « lutte contre le terrorisme», mais force est de constater que le seul recours qu’il a, c’est de compter sur la protection de l’impérialisme Français. D’ailleurs, il n’a tenu jusqu’ici au pouvoir que par la bonne grâce de François Hollande.
Les travailleurs ne doivent pas se laisser entrainer dans le piège patriotique tendu par IBK ou d’autres politiciens qui attendent leur tour pour se hisser au pouvoir. Leurs premiers ennemis ce sont d’abord ceux qui dirigent le pouvoir à Bamako. Ce sont ces derniers qui bloquent les salaires dans la Fonction publique tout en pillant les caisses de l’État. Ce sont ces gens-là qui servent la soupe aux capitalistes qui exploitent les travailleurs et les petits paysans. Les travailleurs du secteur public et du privé ont les mêmes intérêts et c’est la main dans la main qu’ils devraient avancer pour améliorer leurs conditions d’existence.