Après l’accord de Ouagadougou, quelle paix ?
Le 18 juin, après 11 jours de négociation, l’État malien et deux mouvements touaregs (le MNLA et le HCUA, Haut conseil pour l’unité de l’Azawad) ont signé à Ouagadougou un « accord préliminaire » pour permettre le déroulement de la future élection présidentielle à Kidal et dans ses environs, jusque-là sous le contrôle des troupes du MNLA.
Certains n’ont pas hésité à qualifier cet accord d' »historique », d’autres ont déclaré qu’il s’agit d’une « avancée majeure vers la paix ». Ce sont des mots qui ne signifient pas grand-chose. Tout d’abord il ne s’agit-là que d’un accord « préliminaire », c’est-à-dire provisoire, où il n’est question ni de désarment de la rébellion ni d’engagements de l’État malien à répondre aux revendications des mouvements touaregs. Tout est remis pour « plus tard », c’est-à-dire après l’élection présidentielle dont le premier tour est prévu pour le 28 juillet. Ce sera au nouveau président malien issu de cette élection d’envisager la signature d’un accord «global et définitif de paix».
De plus, même provisoire, cet accord n’engage qu’une partie de la rébellion armée. Quant aux groupes islamistes du Mujao, d’Ansar Dine et autres mouvements salafistes partisans de la charia, ils sont toujours dans la nature. Dans ces conditions, parler d’accord historique ou d’avancée majeure vers la paix, c’ est plus qu’exagéré.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que les autorités maliennes signent un tel genre d’accord avec le mouvement touareg. Le 6 janvier 1991 le gouvernement malien représenté par son chef d’état-major et le MPA (Mouvement populaire de l’Azawad) par son dirigeant Iyad Ag Ghali signent l’accord de Tamanrasset en Algérie. Mais à peine quatre mois après, il est rompu avec l’attaque de la ville de Tonka le 10 mai 1991 par une autre branche du mouvement nationaliste touareg. Le 11 avril 1992, un « Pacte national » est signé entre le gouvernement malien et divers mouvements touareg regroupés au sein d’une coordination des MFUA (Mouvements et Front unifiés de l’Azawad). Quelques années plus tard (le 27 mars 1996) a lieu la cérémonie dite de « la flamme de la paix » à Tombouctou, au cours de laquelle des armes appartenant à des rebelles sont symboliquement détruites. Cela n’a nullement mis fin à la rébellion. De nouvelles négociations aboutirent à la signature d’un nouvel accord à Alger, le 4 juillet 2006.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la rébellion a repris avec cette fois-ci, un armement plus conséquent provenant de la débâcle du régime du dictateur libyen Kadhafi. Aux mouvements nationalistes touaregs se sont ajoutés des groupes de fanatiques islamistes. Ils ne se sont pas cantonnés à des actions militaires contre les casernes et les garnisons de l’armée malienne mais ont pris le contrôle de plusieurs villes importantes du nord, en imposant des lois islamiques moyenâgeuses. Il a fallu l’intervention des troupes de l’ancienne puissance coloniale pour que l’État malien reprenne le contrôle de ces villes. Il restait à reprendre Kidal des mains du MNLA mais malgré les fanfaronnades du gouvernement et des généraux maliens, ils ne sont pas en mesure de le faire sans l’appui de l’armée française.
Aujourd’hui on vient de signer l’accord de Ouaga mais combien de temps durera-t-il ? Quelques semaines, quelques mois ? Le président intérimaire du Mali s’est dit fier d’avoir « libéré Kidal » et d’avoir permis à l’État malien de recouvrer « l’intégrité de sa souveraineté nationale ». Les autres présidents avant lui avaient dit à peu près la même chose après la signature des précédents accords mais on sait ce qu’il en est advenu.
A Bamako, à l’approche de l’élection présidentielle, on assiste à une sorte de surenchère nationaliste entre les différents candidats. C’est à celui qui se montrera le plus farouche défenseur de l’intégrité nationale. Certains vont jusqu’à reprocher à Dioncounda d’avoir accepté de négocier avec le MNLA. Il yen a qui lui reprochent d’avoir accepté trop docilement les ordres venus de Paris. Cette surenchère nationaliste trouve un écho favorable au sein d’une partie de la population de même qu’au sein de l’armée, tout au moins parmi les cadres intermédiaires et les soldats du rang. C’est dans ce milieu-là que le capitaine Sanogo avait trouvé ses partisans pour renverser l’ex- président Amadou Toumani Touré (ATT). Sanogo n’est pas candidat à la future élection présidentielle mais il représente une force qu’aucun candidat ne peut négliger, d’autant plus que tous misent sur l’armée pour asseoir leur pouvoir sur la population.
Les travailleurs n’ont aucun intérêt à se laisser entrainer dans cette surenchère nationaliste car c’est un piège destiné à les enfermer eux-mêmes. Les ennemis des travailleurs de Bamako ne sont pas à Kidal, à Gao ou à Tombouctou mais d’abord à Bamako. Ce sont ceux-là même qui les exploitent et les oppriment. S’il y a du chômage, si les salaires sont dérisoires et les conditions de travail inacceptables, si les prix des denrées sont trop élevés pour leur maigre pouvoir d’achat, ce n’est pas à Kidal qu’il faut chercher les responsables mais à Bamako. Si les caisses de l’État sont dilapidées, si la corruption est devenue une institution au pays, il faut d’abord s’en prendre à ceux qui dirigent l’État malien. Mais ceux qui détiennent le pouvoir à Bamako ne sont en réalité que des sous-fifres qui dépendent du bon vouloir de leurs maîtres de l’ancienne puissance coloniale.
Les travailleurs, quelle que soit leur origine ethnique, leur région d’origine ou la couleur de leur peau, ont tous les mêmes intérêts.