Derrière le malaise dans les universités
SÉNÉGAL
Le 15 mai, un jeune étudiant âgé de 25 ans a été tué par balle par la police alors qu’il manifestait avec ses camarades dans le campus de l’université de la ville de Saint-Louis. C’était une manifestation pacifique pour réclamer le paiement de leurs bourses.
La nouvelle de cette mort s’est répandue comme une trainée de poudre et a embrasé d’autres campus dans le pays, notamment à Dakar et à Ziguinchor. Les affrontements avec les forces de l’ordre ont fait de nombreuses victimes et de nombreux dégâts matériels : véhicules incendiés, bâtiments saccagés (dont la maison du ministre de l’Enseignement supérieur, à Saint-Louis). Cet embrasement a duré deux jours. Dans la capitale, la fumée provoquée par les gaz lacrymogènes et par l’incendie de véhicules et autres matériels inflammables dans et aux alentours du campus de l’université Cheikh-Anta-Diop était visible de loin. Par solidarité avec les étudiants, les enseignants ont décidé de se mettre en grève durant 48 heures.
Les médias locaux ont noté que le degré de violence a été un cran au-dessus des précédentes manifestations. Les deux derniers cas de décès d’étudiants tués dans le pays lors de confrontations avec les forces de l’ordre remontent à 2001 et 2014, à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar. Cependant, « la cause » que ces mêmes médias avancent pour expliquer cette colère, à savoir le retard de paiement des bourses, n’est que partielle. Depuis le début de l’année en effet les boursiers n’ont pas perçu leur argent et ils l’ont fait savoir aux autorités administratives qui se sont contenté de donner des explications d’ordre technique. La colère longtemps contenue a fini par éclater. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase mais le malaise est plus profond et ne concerne pas que les boursiers.
À l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar il y a 85 000 étudiants pour 20 000 places. Cette saturation entraîne des conséquences désastreuses dans les conditions d’études et d’hébergement de ceux qui ont la chance de trouver une chambre en résidence universitaire. Les enfants des riches ne fréquentent plus ces lieux. Leurs parents ont les moyens de les envoyer vers les universités occidentales. Mais les étudiants d’origine modeste, en dehors d’une toute petite minorité qui parvient à obtenir une bourse internationale, sont condamnés à galérer dans ces lieux qui servent à « fabriquer des chômeurs » comme le dit un étudiant répondant à un journaliste. Dans la plupart des pavillons, il n’y a que des douches communes, il faut se réveiller à 5 heures pour pouvoir se doucher à temps. «Même pour faire ses besoins, on fait la queue ». Dans les restaurants universitaires, il faut compter au moins une heure avant d’être servi. Les étudiants qui arrivent en retard dans les amphithéâtres sont condamnés à suivre les cours depuis la fenêtre. Certains viennent « réserver » leur place dès l’aube pour être sûr de pouvoir suivre les cours dans les meilleures conditions. Il arrive que les étudiants en viennent aux mains pour obtenir les meilleures places.
Les enseignants sont eux aussi obligés de subir les conséquences de cette dégradation générale dans l’éducation nationale. Ils ont eu à mener plusieurs grèves pour dénoncer les mauvaises conditions de travail et de logement ainsi que les bas salaires.
Le gouvernement dont les ministres, les hauts fonctionnaires et les députés mènent un train de vie de privilégiés « à l’occidentale » désigne les étudiants comme des enfants gâtés et les enseignants grévistes comme des égoïstes prenant en otage l’éducation nationale. Il ne cesse d’accuser ces derniers comme les responsables des maux de l’enseignement public en espérant que les parents d’élèves finiront par se retourner contre eux. Mais les vrais responsables sont ceux qui gouvernement ce pays et qui se moquent de l’avenir des enfants de pauvres comme ils se moquent des intérêts de la grande majorité de la population. Ils ne peuvent pas dire qu’ils n’ont pas prévu la saturation de la principale université de du pays alors qu’elle a été créée en 1959 pour seulement 10 000 étudiants ! Certes, il y a eu des travaux d’agrandissement mais ils sont loin d’être suffisants. Ils ne peuvent pas dire qu’ils ne savent pas que sans le versement régulier de leurs bourses, de nombreux étudiants issus des familles pauvres ne peuvent pas manger, sans compter que certains d’entre eux économisent sur le peu qu’ils touchent (18 000 francs CFA mensuels pour la demi-bourse et 36 000 francs pour la bourse complète) pour aider leurs parents à survivre. Qu’ils ne s’étonnent pas alors que la colère des étudiants embrase les campus !
Cette colère sera encore plus menaçante pour la tranquillité des gouvernants et des classes riches lorsqu’elle se joindra à celle des travailleurs qui souffrent de bas salaires, de la cherté de la vie, du chômage et de la dégradation générale de leurs conditions d’existence.