Business et religion font bon ménage

30 novembre 2017

SÉNÉGAL

Comme chaque année au début du mois de novembre, c’est par centaines de milliers (entre 1,5 et 2 millions selon les estimations officielles) que les pèlerins mourides venant des quatre coins du pays mais aussi de la diaspora ont afflué vers la ville de Touba, haut lieu du mouridisme, pour célébrer le « Grand Magal », une fête religieuse qui dure plusieurs jours.

C’est une occasion aussi pour la plupart des politiciens de se montrer dans ce lieu en compagnie de marabouts milliardaires qui sont à la tête de cette confrérie. Macky Sall, l’actuel président sénégalais est venu en grande pompe et y a passé trois jours. L’ancien président Abdoulaye Wade qui dit ouvertement qu’il est un « talibé » (c’est-à-dire un disciple) y a aussi séjourné trois jours. Il a bénéficié d’un hélicoptère de l’armée sénégalaise offert par son successeur Macky Sall. Un grand nombre de politiciens du pouvoir comme de l’opposition y étaient aussi présents, tous ont besoin de s’appuyer sur ces grands marabouts influents pour se faire élire ou pour obtenir un poste lucratif. Il arrive parfois que des politiciens ou des hommes d’affaires véreux viennent se réfugier à Touba pour bénéficier de la protection de ces marabouts.

Ce sont des gens du même monde qui se rendent mutuellement des services et ce

n’est pas quelque chose de nouveau. Le premier président sénégalais Senghor, tout chrétien qu’il était, faisait des courbettes devant ces grands marabouts, en leur offrant des cadeaux (sous forme de financements de constructions de mosquées luxueuses, ou sous forme d’argent sonnant et trébuchant) pour obtenir leur « Ndiguel » (consigne de soutien ou de vote considérée comme sacrée par les fidèles). Tous ses successeurs n’ont fait que continuer dans le même sens.

Les grands marabouts de Touba ont obtenu la liberté totale de gérer leur « ville sainte » comme bon leur semble, y compris en matière de droit pénal. L’État n’y intervient que pour financer les travaux divers et ferme les yeux sur tout le reste. Le magal est devenu un véritable business. Chaque année, il génèrerait 250 milliards de francs Cfa (380 millions d’euros) selon une étude réalisée par des universitaires sénégalais. L’hôtellerie, le transport et le commerce procurent en effet des recettes énormes. Selon cette étude «150 000 ruminants sont sacrifiés chaque année à Touba, pour les besoins du grand Magal », « Sur les 3.700.000 pèlerins enregistrés chaque année à Touba, 42% d’entre eux effectuent, durant leur séjour, des opérations de transfert d’argent pour des sommes comprises entre 56.000 FCFA et 139.000 FCFA, selon que l’argent provienne du Sénégal ou de l’étranger ». La même étude rapporte que « les professionnels qui s’activent dans ces commerces de fonds, gagnent en moyenne, 800.000 FCFA par jour durant ce grand événement religieux unique en son genre dans toute l’Afrique de l’ouest ». Le Grand Magal est en effet le plus grand rassemblement religieux à Touba mais il y en a d’autres moins importants au cours de l’année et dans cette même ville.

La famille maraboutique issue de la lignée du fondateur du mouridisme est devenue milliardaire au fil des ans. Ces gens-là amassent en effet des fortunes colossales dans l’agriculture, l’immobilier, le commerce et bien d’autres secteurs. Leur fortune a commencé du temps de la colonisation dans la production d’arachide où ils ont fait travailler quasi-gratuitement leurs talibés ; cette pratique proche de l’esclavage continue jusqu’à nos jours. Ils s’enrichissent aussi grâce aux donations effectuées par les fidèles.

À côté de la confrérie des Mourides il y a aussi celle des Tidianes, plus nombreuse et dont la capitale est Tivaouane. Cette ville est aussi en train de préparer sa propre fête religieuse, le Gamou. Les dignitaires de cette confrérie sont aussi des milliardaires mais plus discrets que leurs confrères mourides. Ils ont en commun d’être non seulement dans le camp du pouvoir et des riches mais aussi des tenants d’une idéologie moyenâgeuse qui tire la société en arrière.