Après la répression de la manifestation à Gao
MALI
Le 12 juillet dernier, l’armée malienne a ouvert le feu sur des manifestants dans la ville de Gao, au nord du pays. Il y aurait eu officiellement trois morts par balles et 31 blessés. Cette manifestation a été organisée par des associations de jeunes se réclamant de la « société civile » pour protester notamment contre la mise en place de nouvelles autorités intérimaires dans les régions administratives du nord du Mali. Celles-ci ont été installées récemment, suite à un accord négocié en 2015 entre le gouvernement malien et les mouvements se réclamant de la rébellion touareg.
Une partie de la jeunesse de Gao s’est sentie exclue du partage des postes entre d’un côté les partisans du pouvoir de Bamako et de l’autre ceux des mouvements armées du nord. Alors des centaines de jeunes ont voulu exprimer leurs revendications dans les rues de Gao, malgré l’interdiction de tout rassemblement suite à l’instauration de l’État d’urgence sur l’ensemble du territoire.
Ces jeunes n’étaient pas spécialement des opposants politiques d’Ibrahim Boubacar Keïta. Voici ce qu’a déclaré un des initiateurs de la manifestation : « Nous avons voulu manifester pour dénoncer l’insécurité sur la route Bamako-Gao, pour réclamer aussi notre recrutement au sein de l’armée et pour dénoncer la mise en place des autorités intérimaires ». D’autres ont dénoncé le fait que dans les négociations avec le MNLA (Mouvement National de Libération de L’Azawad), le gouvernement malien, sous la pression de la France, a fait part belle à ceux qui étaient armés au détriment de la « société civile » qui n’était pas en rébellion.
Cette répression violente a choqué bon nombre de gens tant à Bamako que dans d’autres villes du pays, et pas seulement parmi les partisans des partis qui se disent d’opposition. Deux jours après la répression à Gao, plusieurs centaines de manifestants ont défilé dans la capitale malienne en solidarité avec les jeunes de Gao. « Non à la tuerie de Gao. Trop, c’est trop! », pouvait-on lire entre autres sur leurs banderoles. Le même type de manifestation a eu lieu à Tombouctou : « Je suis Gao, Jeunesse de Gao, on est ensemble » ont scandé les manifestants. Cette fois-ci, malgré l’État d’urgence, le gouvernement n’a pas réagi contre les manifestants, ni à Bamako, ni à Tombouctou.
Un des politiciens qui se présente comme le chef de fil de l’opposition, Soumaila Cissé (il a été plusieurs fois ministres sous les précédents gouvernements et a récolté plus de 22% au second tour de l’élection présidentielle de 2013 face à IBK), a tenté de récupérer le mouvement de contestation en accusant le gouvernement de vouloir procéder au « passage en force de la loi sur les autorités intérimaires », chose qu’il n’avait pas dénoncée auparavant alors qu’il n’a jamais été bâillonné par le pouvoir.
Mais IBK n’est pas en reste. Lui aussi veut récupérer le mouvement en sa faveur après avoir ordonné directement ou indirectement la répression à Gao. Il a annoncé la mise sur pied d’ « une mission de haut niveau » pour « diligenter une enquête indépendante et impartiale » sur ce qui s’est passé à Gao le 12 juillet. Il a dépêché son ministre de la Décentralisation et de la Réforme de l’Etat, Mohamed Ag Erlaf, devant la presse pour minimiser la responsabilité de l’Etat malien dans la répression en déclarant que «certains ont abusé des jeunes en leur faisant croire que les autorités intérimaires ont déjà été désignées alors qu’il n’en est rien ».
C’est dans la même foulée que, sous l’impulsion du gouvernement, une manifestation de soutien à IBK a été organisée le 29 juillet à Tombouctou. Les responsables de cette manifestation ont déclaré : « Nous sommes solidaires avec nos frères de Gao mais nous leur demandons d’être vigilants pour éviter d’être manipulés par certaines personnes qui ont des agendas cachés ». C’est d’autant plus hypocrite qu’ils n’ont rien dit pendant la répression de ceux qu’ils présentent comme étant leurs « frères ».
Pour se réconcilier avec cette frange de la jeunesse de Gao et de Tombouctou soutenue par une partie importante des habitants de la capitale et des autres grandes villes du pays, le gouvernement malien va probablement tenter d’acheter quelques uns d’entre eux, notamment certains responsables d’associations en leur offrant quelques places à la mangeoire locale de l’administration et dans l’armée malienne. Mais pour la grande majorité d’entre eux il n’y aura pas grand-chose. Le chômage et la misère resteront leur lot quotidien. Pour changer vraiment leur vie de misère, ils n’auront d’autre choix que de lier leur sort à celui de l’ensemble des travailleurs et des petits paysans du pays. C’est du combat des exploités pour leur émancipation que dépendra la possibilité d’un véritablement changement dans ce pays comme partout ailleurs.