Trump l’incendiaire
Moyen-orient
(Nous reproduisons ci-dessous un article que nos camarades de Lutte Ouvrière ont publié le 7 janvier dans leur journal hebdomadaire du même nom en France.)
L’assassinat du général iranien Ghassem Soleimani par un drone de l’armée américaine, le 3 janvier, a été un coup de tonnerre. Le président des États-Unis Donald Trump, qui l’a commandité, continue de jouer avec le feu au milieu de l’énorme poudrière qu’est la région du Moyen-Orient.
Une des premières conséquences de cet acte a été de faire de ce général un nouveau martyr pour le régime iranien. En novembre, cette dictature avait dû faire face à des émeutes contre la vie chère et la misère, et les forces militaires, dont Soleimani était un des plus hauts responsables, et les pasdarans (les gardiens de la révolution islamique) avaient été la colonne vertébrale d’une répression extrêmement brutale qui avait fait plusieurs centaines de morts. Aujourd’hui, la dictature iranienne peut utiliser la mort de Soleimani pour se renforcer et organiser des processions en son honneur, rassemblant des foules très importantes.
Car le coup de Trump est une véritable provocation. Soleimani était une figure importante du régime iranien. Justement parce que son élimination pouvait signifier un acte de guerre évident, il se sentait dans une certaine position d’invulnérabilité, au point de ne pas spécialement chercher à cacher le détail de ses déplacements aux yeux de l’armée américaine.
Cet acte de guerre accule encore plus le régime iranien. Depuis que les États-Unis ont décidé d’accroître leur pression économique et politique contre l’Iran, le pays est en train d’étouffer. Le blocus économique extrêmement sévère a fait s’effondrer la production. Le PIB (produit intérieur brut) a reculé de 5 % en 2018 et de presque 10 % en 2019. La production pétrolière a été divisée par deux. Le chômage a explosé. Son taux officiel est aujourd’hui de 17 %. La hausse des prix a été de 35 % l’année dernière, après avoir déjà été de 30 % l’année précédente. Le recul économique est tel que le budget de l’État iranien pour l’année à venir est retombé à des niveaux jamais atteints depuis plus de trente ans et la période de la guerre Iran-Irak. En fait, les émeutes de novembre dernier n’étaient que la conséquence logique de cet effondrement catastrophique du niveau de vie de la population.
Comment le régime iranien répondra-t-il à la provocation américaine, et que compte faire désormais le gouvernement des États-Unis ? Si escalade militaire il y a, elle aura des répercussions mondiales. Même les marchés financiers internationaux s’en sont inquiétés. Une première onde de choc financière a d’ailleurs fait chuter les cours de plusieurs Bourses mondiales et fait grimper les prix du pétrole.
La situation est explosive dans tout le Moyen-Orient. Les rivalités entre les différentes puissances régionales s’aiguisent : entre l’Iran et l’Arabie saoudite, la Turquie et Israël, autant d’États qui sont sur le pied de guerre ou déjà carrément en guerre, qui interviennent directement ou indirectement en Syrie et en Irak. L’Arabie saoudite mène sa guerre au Yémen, l’armée turque vient de s’installer au nord de la Syrie et a même commencé à intervenir en Libye. Il ne manque pas grand-chose pour qu’une guerre généralisée embrase toute cette région.
Le rôle de premier fauteur de guerre revient aux États-Unis, dont l’intervention militaire contre Saddam Hussein en 2003 a complètement déstabilisé le Moyen-Orient, et qui veulent contrôler cette région stratégique. Les dirigeants américains n’ont jamais non plus abandonné l’idée d’abattre le régime iranien mis en place en 1979. Car ce régime, issu d’une révolution étranglée par le parti religieux de l’ayatollah Khomeini, dont les dirigeants actuels sont les héritiers, a toujours voulu maintenir son indépendance et sa liberté d’action face à l’impérialisme américain. Pour rappeler qu’il veut lui faire payer ce passé, Trump a déclaré justement qu’il pourrait attaquer 52 sites iraniens, en référence aux 52 Américains de l’ambassade des États-Unis à Téhéran qui avaient été pris en otages pendant plusieurs mois en 1979.
Un cap guerrier a été franchi. Et même si ni les États-Unis ni l’Iran n’ont intérêt à l’escalade militaire, tout en est place pour qu’elle puisse avoir lieu. Ce n’est pas le Moyen-Orient seul qui est au bord du gouffre. Par le jeu des rivalités et des alliances entre les grandes puissances et leurs alliés, et surtout parce que le monde capitaliste est en plein pourrissement et engendre partout des tensions guerrières, en Orient comme en Occident, l’assassinat de Ghassem Soleimani à Bagdad le 3 janvier pourrait avoir des conséquences terribles à l’échelle mondiale.