République démocratique du Congo : guerres et pillages

01 septembre 2024

Une guerre fait rage depuis près de 30 ans en RDC dans un quasi-silence médiatique. De 6,5 à 10 millions de personnes y ont été tuées et plus de 7 millions déplacées. Ce vaste pays est réputé pour ses richesses naturelles. Son climat et la qualité de son sol pourraient permettre de nourrir tous ses habitants, mais l’écrasante majorité continue de vivre dans la misère et dans l’insécurité. Les puissances capitalistes veulent mettre à tout prix la main sur les précieux minerais de ce pays, quitte à s’appuyer sur des bandes armées qui tuent et violent en toute impunité. C’est tout cela qui a conduit au chaos sanglant qui y règne depuis de nombreuses années.

 Nous reproduisons ci-dessous de larges extraits d’un article de la revue Lutte de Classe n°241 de juillet-août 2024,  publiée par nos camarades de Lutte Ouvrière. On peut lire leurs publications sur le site http://www.lutte-ouvrière.org.

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Situé à 3 000 kilomètres de la capitale Kinshasa, l’Est de la RDC est ravagé par près de 200 bandes armées. Certaines sont dirigées par des chefs de guerre congolais, d’autres sont liées aux États voisins, le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi. Ces milices vivent du racket des petits paysans, et de l’exploitation des centaines de milliers de « creuseurs de minerais ». Deux des principales provinces, le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, renferment les plus grandes réserves mondiales de coltan, le minerai de tantale, ainsi que des gisements d’étain et de tungstène. Ce sont des métaux essentiels pour l’électronique, l’armement, l’automobile et l’aéronautique. Le Kivu et l’Ituri plus au nord renferment aussi des quantités importantes d’or. Ces guerres permanentes et leur cortège d’exactions, de viols et de mutilations sexuelles utilisés comme arme de guerre, ont des causes, une histoire et des responsables : ce sont les dirigeants  des grandes puissances impérialistes. Ils parlent de « mal congolais » ou de « malédiction africaine », osent déclarer comme Macron en mars 2023 à Kinshasa : « Vous n’avez pas été capables de restaurer la souveraineté, ni militaire, ni sécuritaire. Il ne faut pas chercher des coupables à l’extérieur ». Ces déclarations, cyniques et mensongères, visent à masquer la responsabilité des grandes puissances – et celle de la France est écrasante – dans des guerres qui sont le produit de décennies de pillage et de rivalités impérialistes.  […]

À peine indépendant, l’État congolais fut soumis à de fortes pressions séparatistes. Chaque clan politique, attaché à une province, défendait son accès aux richesses du pays. Et derrière chacun, on retrouvait une grande puissance. De 1960 à 1963, les Belges et les Français soutinrent ainsi la sécession du Katanga, région riche en cuivre et en cobalt. Mais les États-Unis voyaient d’un mauvais œil l’éclatement du pays. Celui-ci aurait pu profiter à ses concurrents moins puissants, mais également déstabiliser toute la région et favoriser l’influence soviétique. En 1963, par le biais de l’ONU, les États-Unis intervinrent militairement pour porter au pouvoir le colonel Mobutu Sese Seko, contre la sécession katangaise, mais aussi contre les mouvements de révolte et de guérilla qui secouaient le Congo. [ …]

Pendant 32 ans, le régime dictatorial de Mobutu mena un pillage généralisé des richesses du pays, entraînant la dégradation de toutes les infrastructures, des quelques services publics jusqu’aux entreprises industrielles et minières. Ce pillage ne put se maintenir qu’avec le soutien militaire, financier et politique constant des grandes puissances, pour lesquelles Mobutu était le dirigeant le plus fidèle de la région. À partir des années 1980, à cause de la chute du prix des matières premières, la situation économique devint catastrophique. Les plans d’ajustement structurel imposés par le FMI et la Banque mondiale achevèrent le peu qu’il restait d’écoles, d’hôpitaux et de dispensaires.

Le chaos en RDC, produit des rivalités impérialistes

Dans les années 1990, le régime de Mobutu était exsangue. La crise économique aiguisait les divisions et les forces centrifuges. L’armée nationale n’avait plus les moyens de s’équiper et de payer ses soldats […]. Mais ce qui fit basculer la région dans la guerre, c’est le génocide au Rwanda, en 1994, organisé par le régime hutu soutenu par la France. Les armées génocidaires, battues par l’armée de Paul Kagamé soutenue par les États-Unis, s’enfuirent sous la protection de l’armée française, […]

En avril dernier, à l’occasion de l’anniversaire du génocide des Tutsis au Rwanda, Macron a déclaré que la France « aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains, mais n’en a pas eu la volonté ». C’est d’une hypocrisie sans nom car la France a, en toute volonté, armé et protégé les milices génocidaires. Celles-ci se sont ensuite réfugiées dans l’Est du Congo, utilisant 1,5 million de réfugiés hutus comme masse de manœuvre. Elles y formèrent le Front démocratique de libération du Rwanda (FDLR), fort de 100 000 soldats, qui attaquait les populations tutsies congolaises. En réponse aux exactions des FDLR, des milices à dominante tutsies se formèrent. L’actuel M23 qui, avec le soutien du Rwanda, est devenue une véritable armée, a de lointaines origines dans ces milices.

Le chaos sanglant au Rwanda s’étendit ainsi au Congo. Cet embrasement coïncidait avec l’agonie du régime de Mobutu que les Etats-Unis lâchèrent en 1997. […]  À partir de son fief dans l’Est, et avec l’appui des armées rwandaises et ougandaises et des États-Unis, Kabila renversa Mobutu dont l’armée s’effondrait. Durant cette première guerre congolaise, les capitalistes liés à l’impérialisme anglo-américain signaient des contrats miniers dont Kabila et les affairistes autour de lui tiraient de solides rentes. Dans cette lutte, les groupes français furent mis hors-jeu car la France soutint jusqu’au bout Mobutu. […]

Des affrontements sans fin, produits d’une économie de prédation

En 2003, il y eut de prétendus accords de paix mais la guerre ne s’est jamais arrêtée dans l’est de la RDC. Aujourd’hui, les populations sont toujours prises en étau entre une multitude de bandes armées. […] Chaque chef de guerre ne vise qu’à prélever sa part du pillage, dans des alliances mouvantes et des affrontements sans fin. Mais au bout du compte, tous se soumettent à l’impérialisme car leur pouvoir est fragile, produit d’une économie de prédation. […].

Dans le chaos d’alliances instables, Tshisekedi ne fait pas exception. Jusqu’en novembre 2021, il était l’allié du président rwandais mais leur lune de miel a volé en éclat lorsque la RDC a signé une alliance avec l’Ouganda, en rivalité avec le Rwanda de Kagamé. Peu après, le conflit dans le Nord-Kivu s’est brutalement aggravé, avec l’offensive du M23, soutenu par le Rwanda. […]

Mais le M23 n’est pas la seule milice, loin de là. On y retrouve aussi de nombreuses « sociétés militaires privées », un euphémisme pour désigner des bandes de mercenaires. En RDC, Wagner n’est pas présent mais il y a des barbouzes liés à la France. À Goma, capitale du Nord-Kivu, des anciens de la Légion étrangère française opèrent, aux côtés d’hommes d’affaires louches, comme un certain Olivier Bazin, alias « colonel Mario », courtier en matériel militaire. […]

Comme bien des États issus des indépendances, l’État congolais s’effondre et laisse le pouvoir à des groupes de mercenaires qui se vendent au plus offrant, pour protéger le pillage des ressources naturelles de RDC.

Au milieu de ce chaos, l’extraction des minerais ne s’est jamais arrêtée, et elle nourrit directement les combats et les déplacements meurtriers de populations. Le principal est le coltan dont on extrait le tantale, un métal essentiel à beaucoup de productions modernes, les implants et les outils chirurgicaux, les condensateurs et matériels électroniques, les alliages spéciaux, utilisés notamment dans l’aéronautique civile et militaire. La RDC renfermerait 60 % à 80 % des réserves mondiales de coltan et a fourni 44 % de sa production mondiale en 2019, environ 2 000 tonnes. Il s’agit le plus souvent de mines dites artisanales comme celle de Rubaya au Nord-Kivu, qui produit 15 % de la production mondiale de coltan […] Au bout de la chaîne, il y a les grand groupes mondiaux comme  Apple, Intel, Samsung, Motorola, Thales, Dassault, et bien d’autres. Ce sont eux qui sucent les richesses extraites par les creuseurs de RDC, aux moyens dérisoires, afin d’alimenter des productions de haute technologie. […]

 L’avenir est dans les mains de la classe ouvrière

Face à l’horreur de la situation, des commentateurs et les ONG défendent l’idée qu’il faudrait une meilleure certification des minerais exportés. D’autres expliquent qu’il faudrait boycotter les productions contenant du coltan ou d’autres métaux rares. Mais le tantale est indispensable pour le matériel médical ou des installations électroniques vitales. Enfin, les dirigeants des grandes puissances ont prétendu que l’intervention de l’ONU permettrait de stabiliser la situation. On voit qu’il n’en est rien et, aujourd’hui, la Mission des Nations unies au Congo (MONUSCO) est en train de se retirer. Pire, certains de ses officiers ont été impliqués dans des trafics d’armes.

En RDC, comme dans tous les pays dominés par l’impérialisme, rien de bon ne peut venir de l’ONU et des grandes puissances, qui sont les premières responsables. Rien de bon ne peut venir des politiciens du pays, avant tout préoccupés de la place qui leur permet d’accéder aux miettes du pillage que leur laissent les capitalistes occidentaux. [ …]. C’est le capitalisme qui a transformé l’Est de la RDC en un bourbier sanglant qui nourrit les fortunes des milliardaires américains ou européens. Ce chaos n’est pas un problème congolais mais la démonstration que le capitalisme n’a rien d’autre à offrir que le sous-développement et la violence généralisée aux pays dominés par l’impérialisme.

Mais, comme partout sur la planète, il existe en RDC une classe ouvrière sans qui la société n’existerait pas, sans qui l’économie ne fonctionnerait pas. L’espoir ne peut venir que de la population laborieuse. Ce sont les travailleurs des mines, les très nombreux petits transporteurs, qui assurent avec des camions ou de simples vélos la distribution des biens indispensables à la population. Ce sont les petits paysans qui produisent le cacao ; les coupeurs de bois exploités par des chefs de guerre ; les petites vendeuses de rue, les creuseuses, etc. […]

La prochaine révolution ouvrière partira peut-être d’une mine de RDC mais elle ne pourra vaincre que si elle s’étend partout, et renverse tout l’ordre impérialiste. Ce combat, seule la classe des travailleurs peut le mener jusqu’au bout, dans les pays dominés par l’impérialisme comme dans les citadelles du capitalisme.