Éditorial

Mutinerie de soldats : Ouattara récolte ce qu’il a semé

12 juin 2017

Pour ne pas payer les prébendes à ses ex-milices qui l’avaient pourtant porté au pouvoir, Ouattara et son staff au pouvoir ont organisé tout un cinéma retransmis comme il se doit à la télé, à la radio et relayé par le journal gouvernemental. Leur comédie consistait à ce qu’une prétendue délégation de soldats, qui étaient en fait des éléments aux ordres, vienne annoncer en grande pompe le renoncement à leurs revendications.

Voici ce que disait solennellement le porte-parole de cette délégation, ce 10 mai : « … nous soldats des armées, terre, air, mer, renonçons définitivement à toute revendication d’ordre financier … Nous prenons l’engagement solennelle de se ranger et de se mettre aux ordres de la République ».

Et à Ouattara de répondre : « … je sais que vous les jeunes, vous tenez à votre pays. Et je vous fais confiance… ». Ensuite, dans sa grande magnanimité, il leur a alors annoncé le relèvement des baux pour tous les corps habillés de 20.000 Fr par mois… à compter de janvier 2018, la gratuité de la Sotra pour les gardes pénitenciers qui n’en bénéficiaient pas jusque-là, le passage au grade supérieur à 4 ans au lieu de 7 ans, l’amélioration de la vie dans les casernes.

La réponse des soldats mutins des casernes, ne s’est fait entendre à peine quelques heures après cette rencontre au Palais présidentiel. Elle n’était pas faite de discours à l’adresse de leur « Papa » Ouattara. Elle sera au contraire assourdissante aux oreilles des gens du pouvoir ! A travers les crépitements de leurs armes, les soldats en révolte ont montré que, comme leurs maîtres au pouvoir, ils préfèrent encore plus leur poche à toute autre considération. De plus, ils avaient manifestement l’esprit assez clair pour ne pas se contenter d’une aumône de 20.000 Fr payable dans 6 mois que leur proposait leur papa, sachant qu’ils peuvent en arracher bien plus en faisant claquer les armes !

Le pouvoir, blessé dans son amour-propre, a alors voulu rouler les mécaniques en menaçant les mutins de représailles des plus sévères, notamment par la bouche du Général Sékou Touré, chef d’État-major des armées. Celui-ci déclara à la télévision qu’il allait lacer une « opération pour rétablir l’ordre ». Le porte-parole du RDR demandait quant à lui que les « véritables meneurs » soient  identifiés et que « les masques et les cagoules tombent… ».

Sauf qu’un Général sans troupe, ce qui est le cas du Chef d’État-major, pouvait difficilement « rétablir l’ordre » ! En effet, quelle troupe pouvait-il donc envoyer pour réprimer ne serait-ce que les 500 soldats de Bouaké en révolte ? Les ex-Fds de Gbagbo ? Autant dire que ceux-là qui rêvent eux-aussi de palper les 12 millions, n’ont certainement ni la force, ni l’envie d’en découdre et encore moins d’être envoyés au casse-pipe par un Sékou Touré avec lequel ils n’ont probablement aucune attache, voire peut-être même l’inverse si celui-ci a combattu dans le camp Ouattara contre Gbagbo !

Il ne restait donc plus à l’État-major des armées que de s’en remettre aux hommes de Soro Guillaume, à ces ex-comzones : Zakaria Koné, Chérif Ousmane et Issiaka Wattao (ce dernier étant actuellement aux commandes de la « Garde Républicaine »). Sauf que tous ont poliment décliné ce cadeau empoisonné, sachant que ce qu’on leur demandait était rien moins que de couper eux-mêmes la branche sur laquelle ils sont agrippés. Cela, d’autant plus qu’en réponse aux propos va-en-guerre du Chef d’État-major, les 8400 soldats ex-rebelles répartis dans différentes casernes du pays se sont aussitôt mis dans la danse, perturbant l’activité économique des principales villes dont Abidjan et San-Pédro.

Du coup, la peur a changé de camp. Le pouvoir est vite revenu à de meilleurs sentiments. Ouattara a aussitôt débloqué les sous par virement bancaire, à raison de 5 millions de francs par tête de pipe aux 8400 mutins et a promis de payer 2 autres millions dès le mois de juin. Ce qui fait un total de 12 millions pour chacun, sachant qu’au mois de janvier, toujours par la force des armes, ces soldats avaient déjà obtenu un premier paiement de 5 millions de francs par personne.

Le pouvoir n’en est pas pour autant quitte. D’une part, parce que certains de ces soldats ont déjà monté les enchères à 18 millions, au lieu des 12 millions initialement. Ensuite, parce que d’autres ex-rebelles, ceux recasés à la douane, à la garde pénitentiaire, aux Eaux et forêts, etc., tous ceux-là écartés jusque-là de ce magot, pourraient eux aussi trouver inspiration. Ensuite, il y a aussi leurs « collègues » ex-rebelles, au nombre de dizaines de milliers, aujourd’hui dans la nature, dont beaucoup se sont recyclés en coupeurs de routes et en bandits de grands chemins. Se croyant dans leur bon droit, ils pourraient trouver eux aussi des voies et moyens plus convainquant pour se faire entendre et réclamer eux aussi justice !

Et comble pour le pouvoir, il y a, devrait-on dire, en face, tous ces gendarmes, policiers et autres ex-Fds, qui avaient combattus pour Gbagbo et qui font eux aussi partie intégrante des forces armées. Ils pourraient, s’ils trouvent la force, exiger leur part de butin. Rappelons que les gendarmes s’étaient déjà mis dans la danse à la suite de la révolte des soldats au mois de janvier. Mais non invités à la ripaille, ils avaient été aussitôt réprimés par les forces armées de Ouattara, à sa demande. Les forces qui avaient alors réprimé les gendarmes étaient celles-là même qui venaient d’empocher leur magot.

C’est par crainte de tous ces dangers qui guettent son pouvoir que Ouattara s’est empressé de signer de nombreux décrets en faveur des corps habillés. Parmi ceux-ci, on peut citer notamment le relèvement des baux de tous les corps habillés de 20.000 Fr par mois, y compris pour les paramilitaires ; un décret aussi au bénéfice des surveillants des prisons qui toucheront dorénavant une « indemnité de risque » compris entre 80.000 Fr et 125.000 Fr par mois, ainsi qu’une « indemnité de suggestion » entre 40 mille francs et 75 mille francs par mois.

Ouattara cède, mais rien n’est dit que ces ex-rebelles qui ont appris à dévaliser les banques, piller et racketter, se contenteront de ces gestes d’apaisement venant d’un pouvoir aux abois.

En tout cas, les travailleurs sont témoins que le gouvernement, comme les riches d’ailleurs, savent lâcher le morceau, à condition d’avoir en face une force capable de les attaquer exactement là où ça leur fait le plus grand mal. Et si les corps habillés tirent leur force de leurs armes, les travailleurs la tiennent de leur position dans l’économie et de leur capacité à s’organiser et à paralyser cette économie capitaliste désastreuse pour les travailleurs et les pauvres !