Éditorial

Les riches et le gouvernement ne cèderont aux revendications des travailleurs que contraints et forcés

20 mars 2017

Le 27 février, c’était le dernier délai accordé au gouvernement par les fonctionnaires, pour mettre en application les revendications déjà acquises de hautes luttes lors de la grève du mois de janvier et aussi pour concrétiser celles qui étaient encore restées en cours de négociation. Cette date butoir est arrivée à échéance sans que les fonctionnaires aient eu satisfaction. Le piège que beaucoup de grévistes craignaient dès le départ, quand les dirigeants syndicaux ont mis fin à la grève, s’est finalement avéré exact. Le gouvernement avait demandé une « trêve » aux fonctionnaires grévistes dans le seul but de les démobiliser et de lancer sa contre-attaque.

Rappelons que les fonctionnaires ont engagé une grève dès le mois de novembre 2016. Ils ont par la suite repris le travail pour se remettre en grève durant trois semaines en janvier. Ils exigent entre autres le paiement des arriérés de salaire et l’abrogation de la réforme scélérate portant sur leur retraite.

Le 7 mars, après la date buttoir, le gouvernement et les syndicats se sont rencontrés mais rien d’intéressant n’en est sorti pour les travailleurs. Non seulement le gouvernement n’entent plus discuter des revendications majeures des fonctionnaires mais il veut par-dessus le marché que les dirigeants des centrales syndicales s’engagent à mettre fin au mouvement des fonctionnaires et décident d’une « trêve sociale » sur le dos des grévistes.

Les dirigeants politiques qui se succèdent à la tête du gouvernement se comportent comme n’importe quel capitaliste envers ses employés. Ils rusent et font tout pour casser la grève. Ce n’est pas nouveau.

C’est ainsi qu’en 1988, Houphouët Boigny, sous la pression des fonctionnaires en grève, avait fini par promettre une révision des salaires … lorsque la « conjoncture » la lui permettra. Ce fut le même cinéma sous Gbagbo, lors de la grève de 2007, puis celle de 2009. Gbagbo avait appris la façon de Houphouët Boigny de duper les fonctionnaires : sur le papier il a accordé l’augmentation, mais rien dans les faits. Le prétexte avancé a été le refus du FMI (Fonds monétaire international) d’autoriser à l’État ivoirien le droit d’augmenter les salaires dans la Fonction publique. Il s’était plié au dictat du FMI pour faire supporter aux salariés de la Fonction publique une cure d’austérité supplémentaire, mais en réalité, lui-même ne voulait rien céder aux grévistes.

C’est ainsi que le niveau de vie des petits fonctionnaires avait subi une baisse catastrophique. Durant 27 ans, de 1988 à 2014, ils n’avaient perçu aucune augmentation de salaire et pourtant cela leur a été promis plus d’une fois. C’est donc tout à fait légitime qu’ils réclament aujourd’hui le paiement des arriérés qui leur sont dus. Cela représente un total de 249 milliards de Francs Cfa, mais le gouvernement refuse d’honorer cette dette sous prétexte que les fonctionnaires y auraient eux-mêmes « renoncé » ! Qu’il ne s’étonne pas ensuite que les fonctionnaires soient en colère car ils en ont mare des entourloupes !

Une Assemblée Générale de l’ensemble des organisations des fonctionnaires devait se tenir le 10 mars à l’université de Cocody pour décider ensemble de la suite à donner. Mais voilà que la veille de cette rencontre, les organisateurs sont informés que la salle où devait se tenir cette rencontre leur a été refusée. Du coup, ce sont des AG éclatées sur tout le territoire qui a ont été décidées dans la précipitation. Ce qui rend plus difficile la coordination des actions à mener. C’est encore un bâton de plus pour affaiblir le mouvement gréviste.

Il est clair que les fonctionnaires mécontents n’obtiendront rien sans engager une lutte de plus grande envergure. Les soldats, eux, ont jusque-là réussi à faire plier le gouvernement en le menaçant directement avec leur artillerie. Les fonctionnaires, de leur côté, n’ont que l’arme de la grève pour imposer leurs revendications. Le mouvement de grève de trois semaines en janvier a secoué le gouvernement mais il faudrait une mobilisation plus grande pour le faire vraiment plier.

Si le mouvement gréviste se limite à la seule fermeture des hôpitaux et des écoles publics par exemple, cela ne gêne pas trop les dirigeants politiques et les riches étant donné qu’eux-mêmes, leurs enfants et leurs familles ne les fréquentent pas. Ils disposent d’assez de moyens pour aller ailleurs. Quant au blocage de l’administration, ils s’en moquent également tant que les affaires des capitalistes ne sont pas perturbées. Ainsi, lors de la grève du mois de janvier, le gouvernement n’avait commencé à négocier qu’au bout de la 3ème semaine de grève, seulement quand le port d’Abidjan commençait à être perturbé et que les conséquences sur l’économie capitaliste ont commencé à se faire sentir. Ce qui veut dire que les fonctionnaires disposent des moyens de faire mal au gouvernement et aux capitalistes pour les faire plier.

Ces moyens seront encore plus efficaces si les travailleurs du secteur privé se joignaient à leurs frères du secteur public pour revendiquer ensemble des améliorations dans les conditions d’existence. Tous les travailleurs sont victimes des bas salaires et de l’augmentation du coût de la vie. Il est donc vital pour leurs intérêts communs qu’ils se donnent les moyens d’agir ensemble, de formuler leurs revendications et de coordonner les luttes. Ils font partie du même monde du travail qui souffre alors que c’est grâce à eux que la machine administrative et l’économie tournent. D’ailleurs, quel fonctionnaire n’a pas au moins un membre de sa famille qui ne se fait exploiter par un capitaliste ?

Ce qui manque aujourd’hui aux travailleurs, c’est la conscience qu’ensemble, travailleurs du privé ou du public : infirmier, enseignant, balayeur, technicien, machiniste, manœuvre, employé de bureau, ouvrier, chauffeur, maçon, docker, constituent une même force sociale, celle de la grande famille des travailleurs. Unis dans la lutte, ils constituent une force colossale capable de changer beaucoup de chose.