Les petits planteurs de cacao et les ouvriers : des laissés-pour-compte !

27 février 2021

LEUR SOCIÉTÉ

Comme on le dit dans les rues d’Abidjan, les planteurs de cacao sont « dans pain actuellement ». La filière est bloquée. Les fèves de cacao s’amoncellent dans les zones de production et de stockages, et les acheteurs se font rares.

Le 15 février 2021, une rencontre des planteurs de l’Indénié-Djuablin s’est tenue à la salle des fêtes de l’Hôtel de ville d’Abengourou. L’ordre du jour portait essentiellement sur la mévente du cacao et cette réunion a drainé du monde venu de toutes les contrées de l’Est de la Côte d’Ivoire. Selon le président des coopératives de cacao de cette région : « C’est la désolation extrême dans les villages où la pauvreté gagne du terrain. Les producteurs ne savent plus à quel saint se vouer et ont du mal à retourner dans leurs plantations de peur de retrouver leurs manœuvres ivres de colère qui attendent d’être payés ».

À l’ouest du pays le spectacle n’est pas différent. À Kragui, village cacaoyer de l’ouest ivoirien, les fèves brunes s’amoncellent et il n’y a même plus assez de sacs de jute pour les stocker. Un cacaoculteur exprime son désespoir : « Le cacao dort ici, ça veut dire que personne ne l’achète. Je ne gagne rien. Je peux tenir encore deux mois mais après, je n’aurai plus rien pour l’école et les soins de mes quatre enfants ».

C’est ainsi dans la plupart des villages de planteurs de la région du sud-ouest ivoirien épicentre de la production du premier producteur mondial « d’or brun ». Le cacao sèche au soleil, au milieu des cours familiales ou dans les magasins de stockage. Depuis maintenant plusieurs semaines, la filière est bloquée et les premiers touchés sont justement ceux qui ne peuvent pas se permettre de rester des mois sans revenu.

En 2020 la Côte d’Ivoire a exporté plus de 2 millions de tonnes. 2021 s’annonce plus difficile. Avec les effets négatifs de la pandémie du covid 19 qui se font sentir davantage, les commandes internationales ont baissé. Mais la crise sanitaire n’est pas la seule cause de la paralysie qui affecte le cacao. La Côte d’Ivoire et le Ghana s’étaient associés pour forcer les multinationales du chocolat à payer leurs fèves plus cher. Les deux pays ont instauré en 2020 un « différentiel de revenu décent » (DRD) de 200 Fcfa le kg. Cela devrait permettre d’améliorer la condition de vie des cacaoculteurs qui ne gagnent en moyenne que 6 % du prix d’une tablette de chocolat. Plus de la moitié d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté.

Alassane Ouattara a annoncé en octobre 2020, un mois avant l’élection présidentielle, une hausse du prix du cacao payé aux planteurs, de 825 à 1 000 francs CFA le kilo, mais ce n’était qu’une annonce électorale.

Dès novembre, les deux majors mondiaux du chocolat (Hershey et Mars) ont contourné le circuit habituel pour acheter leur cacao sans payer le différentiel de revenu. Officiellement, le différend entre ces chocolatiers et les deux pays producteurs de cacao se serait depuis aplani, mais le compte n’y est toujours pas pour les petits producteurs qui ont du mal à vendre leurs produits à un tarif leur permettant de s’en sortir.

Cela rappelle la période de 1987-1988, quand Félix Houphouët-Boigny avait bloqué les exportations de ce produit pour tenter de faire remonter les cours. Après avoir stocké pendant 16 mois des centaines de milliers de tonnes de fèves, le président ivoirien s’était finalement résolu à les céder à prix cassé.

Ni l’État ivoirien, ni l’État ghanéen, ensemble ou séparément, n’arrivent à influer sur les cours du cacao, même si ensemble ils produisent les deux tiers de la production mondiale. Ce qui montre à quel point ils pèsent peu face à la puissance des multinationales qui ont la mainmise sur la filière. Ce sont elles qui imposent leur volonté aux dirigeants de ces deux pays producteurs. Même si parfois ces derniers font mine de s’en indigner, il n’en demeure pas moins qu’ils font aussi partie de ceux qui s’enrichissent de l’exportation de cet « or brun ».

La campagne présidentielle est terminée et les gens du pouvoir considèrent sans doute qu’ils ont d’autres chats à fouetter. Quant aux petits paysans et aux ouvriers qui sont à la base de la production, ils sont les laissés-pour-compte.