Éditorial

Les mutins sont invités à la présidence, les ouvriers du bâtiment à la morgue !

05 décembre 2014

La rapidité avec la quelle le gouvernement a réagi devant un début de mutinerie au sein de l’armée et sa manière de répondre favorablement aux revendications des mutins illustre sa peur de perdre le contrôle de son principal appareil de répression. En effet, c’est principalement sur cette armée-là que nos dirigeants comptent pour asseoir leur pouvoir.

Lorsque ce sont les travailleurs qui revendiquent des droits ou des améliorations de leurs conditions d’existences, quand ce n’est pas par des propos méprisants que les dirigeants de l’État répondent à leurs légitimes revendications, ce sont les forces de l’ordre qu’on envoie contre eux pour les intimider. On envoie les plus combatifs en prison ou on les licencie. Cela a été le cas, entre autres, des travailleurs du bâtiment en grève.

Tout dernièrement, le 5 novembre, à Attécoubé, neuf ouvriers du bâtiment ont perdu la vie. Ils étaient chargés de démolir un immeuble de 4 étages, constitué de 200 studios. Ils n’étaient équipés que de simples masses. Ce qui était inévitable arriva : l’immeuble s’est écroulé. En plus des neuf morts il y a eu neuf autres blessés, dont certains très gravement.

Pour détruire cet immeuble, le ministère de la Construction avait vraisemblablement attribué le contrat a une entreprise appartenant peut-être à un dignitaire, un député, un ministre ou un maire. Le gouvernement avait chassé quelques temps plus tôt les occupants de cet immeuble, dans le cadre d’une opération plus vaste de« déguerpissement » des quartiers pauvres. Ce que deviendront les habitants ainsi chassés de leur logement n’est pas vraiment le problème du gouvernement. Lui, son souci c’est de récupérer tous les lotissements disponibles pour satisfaire les appétits des banquiers, des promoteurs immobiliers et des riches.

La vie des ouvriers recrutés pour la démolition et la reconstruction du bâtiment ne compte pas pour ces gens-là. Seul compte le profit. Ce patron d’entreprise savait d’avance que la justice est bien tolérante quand ce sont des riches qui sont en cause. D’ailleurs, si besoin, son argent n’est-il pas là pour parler pour lui ? En tout cas, ni le ministre de la Construction, ni l’entrepreneur qui a eu le contrat ne pouvait ignorer que pour démolir un tel immeuble, il fallait nécessairement mettre à disposition des moyens et des techniques appropriés. Mais cela leur importait peu !

Le drame est d’autant plus révoltant que les pompiers qui sont intervenus pour dégager ces ouvriers ensevelis sous les décombres n’avaient aucun matériel pour le faire. Pourtant, rien n’empêchait le gouvernement de réquisitionner aussitôt quelques engins lourds. On aurait peut-être pu ainsi en sauver certains. Ensuite, les blessés, au lieu d’être évacués vers une clinique de référence comme la Pisam, ont été déposés au CHU de Yopougon où toutes leurs chances de s’en sortir étaient ainsi perdues d’avance car il est de notoriété publique que cet hôpital est devenu un véritable mouroir pour pauvres.

Le gouvernement qui ne manque pas d’hypocrisie et de mépris quand il s’agit des pauvres, a dépêché son ministre de la «Solidarité » sur les lieux du drame pour prononcer des paroles creuses. Celui-ci a ainsi « promis que le gouvernement sera aux côtés des personnes endeuillées et apportera son assistance aux blessés ». Autant dire que ce gouvernement incapable, ne serait-ce que, d’envoyer des engins pour sauver les travailleurs, veut solder les comptes avec 300 milles francs par tête de mort et peut-être autant pour les morts en sursis que sont ces blessés graves envoyés à l’hôpital-mouroir.