Les classes pauvres entre la rapacité des exploiteurs et la répression de l’état

13 juin 2016

CÔTE D’IVOIRE

Nous reproduisons ci-dessous de larges extraits du forum que nous avons tenu le 15 Mai dernier, à la fête de Lutte Ouvrière (dans la région parisienne), sur la situation en Côte d’Ivoire.

Ouattara, l’actuel président de la Côte d’Ivoire, est à son deuxième mandat. Il bénéficie d’une stabilité politique relative. Son principal adversaire politique (l’ex président Gbagbo) se trouve en prison à la Haye, son procès au Tribunal Pénal International est toujours en cours. Ses partisans du FPI ont du mal à trouver une cohésion et un leader de remplacement. Le procès de Simone Gbagbo est aussi actuellement en cours à Abidjan.

Ouattara n’arrête pas de se vanter que grâce à sa politique, l’économie ivoirienne a redécollé, que les affaires reprennent, que la croissance économique avoisinerait les deux chiffres et que la Côte d’Ivoire va devenir bientôt un pays « émergent »…

Des chefs d’entreprises, français en tête, affluent dans le pays. Dans ces conditions les affaires ne peuvent que bien aller pour les capitalistes. Mais pour les travailleurs et les classes pauvres en général, la situation ne s’est guère améliorée. C’est la même misère qui continue. La croissance c’est seulement pour les riches.

La situation de la classe ouvrière

Les travailleurs subissent de plein fouet la généralisation de la précarisation de l’emploi. Dans les entreprises, les ouvriers ayant un CDI sont partout remplacés par des journaliers. Les vieux ouvriers, les malades, les accidentés du travail sont poussés vers la sortie et remplacés par des jeunes travailleurs dans la force de l’âge. La grande majorité des travailleurs sont de plus en plus des journaliers.

Selon les responsables de la CNPS (Caisse Nationale de Prévoyance Sociale), seulement 10 à 15 % des salariés sont immatriculés, autrement dit les autres travaillent au noir. La précarisation du travail ne fait qu’aggraver cette tendance. Dans plusieurs entreprises de la zone industrielle de Yopougon par exemple, les patrons font signer des contrats de 11 mois non renouvelables. Le chômage est tel que même pour décrocher ce type de contrats, les travailleurs sont obligés de soudoyer les petits chefs.

Dans certaines entreprises de manutention, les embauches se font au jour le jour. Les matins, à la porte de ces entreprises, c’est la bagarre pour se faire embaucher chaque jour. Ceux qui ont la chance de décrocher un petit job sont obligés de travailler dans des conditions éprouvantes et parfois très dangereuses. Les patrons se donnent de moins en moins la peine d’équiper les travailleurs en tenue de travail, gants, chaussures de sécurité, etc.

Le nouveau Smig et les luttes pour l’imposer

Le niveau des salaires des travailleurs est misérablement bas pour faire face au coût de la vie qui ne cesse de grimper. Dans la Fonction publique comme dans le privé, les salaires étaient bloqués depuis plusieurs années. Le Smic officiel n’avait pas bougé depuis la dévaluation du franc Cfa en 1994, qui l’avait divisée de moitié.

Il y a deux ans, Ouattara a concédé à un rehaussement du Smic. Il est passé de l’équivalent de 55 euros à 90 euros par mois (36 000 Fr à 60 000 Fr CFA). Ce qui reste une misère pour une ville comme Abidjan où tout est cher pour les travailleurs. Cette somme suffit juste à payer le loyer d’un deux pièces dans un quartier populaire.

Pour les travailleurs ayant un contrat d’embauche, le gouvernement a aussi concédé une augmentation de 8 % sur le salaire de base. (environ 5 000 fr CFA par mois).

Mais entre ce qui est écrit dans les textes officiels et son application sur le terrain il y a parfois un fossé. Dans certaines entreprises, il a fallu que les travailleurs se bagarrent pour faire appliquer le nouveau barème des salaires et en même temps pour revendiquer des améliorations de leurs conditions de travail. Cela a été le cas chez SOFT DRINK, une succursale de PEPSI à la zone industrielle de Yopougon. Les travailleurs ont débrayé pour réclamer l’augmentation salariale de 8 % concédée par le gouvernement et que leur patron faisait mine d’ignorer. Suite à ce premier arrêt de travail, la direction a renvoyé tous les délégués au nombre de 19. Le patron croyait qu’il allait ainsi intimider les travailleurs mais il avait mal mesuré leur détermination car aussitôt, ils se sont remis en grève pour exiger la réintégration de leurs délégués et l’application immédiate de la nouvelle grille salariale ainsi que le paiement des arriérés qui en découlent. Après deux jours de grève, la direction s’est vue dans l’obligation de verser ce qu’elle leur devait.

La répression contre les grévistes

Certaines luttes des travailleurs sont violemment réprimées par le gouvernement pour venir en aide aux exploiteurs. C’est ce qui s’est passé à la SUCAF, une usine importante de sucre de canne dans le nord du pays. Les travailleurs se sont mis en grève contre le démembrement de leur entreprise car cela allait se traduire par la baisse immédiate des salaires. Ils ont aussi mis en avant d’autres revendications comme le payement des heures supplémentaires, l’amélioration des conditions de travail. Ils ont su dépasser l’esprit corporatiste et se lever comme un seul homme.

Devant l’ampleur de leur mobilisation, le patron a fait venir les gendarmes et ceux-ci ont fait usage de leurs armes en faisant deux morts et plusieurs blessés. Une dizaine de travailleurs ont été arrêtés et jetés en prison. Malgré cette répression violente, les travailleurs ont tenu tête pendant plusieurs jours.

Un autre exemple, à UTEXI, une usine de textile située au centre du pays, les travailleurs se sont mis en lutte pour réclamer de meilleurs salaires. La mobilisation était telle que leur patron qui se croyait tout permis a été obligé de céder à leurs revendications. Certes il y a eu le licenciement de certains meneurs, mais là encore les travailleurs ont fait la démonstration qu’ils sont capables lorsqu’ils sont en lutte, de faire reculer leurs exploiteurs.

Dans le secteur du bâtiment

Le secteur du bâtiment et des travaux publics est en plein essor depuis quelques années. Il y a partout de grands chantiers où l’on construit des maisons à vendre, il y a aussi des travaux d’État comme les voiries, les bâtiments administratifs, les ponts, les châteaux d’eau et leurs canalisations. Ces travaux emploient plusieurs milliers de travailleurs à travers le pays. Mais cet essor ne profite pas vraiment aux travailleurs car les entreprises du BTP proposent toujours des contrats journaliers, avec des bas salaires même quand les travaux durent plusieurs années.

Là aussi les travailleurs mènent des luttes. Ils essayent de s’organiser pour revendiquer des améliorations de salaire et des conditions de travail de même que la déclaration à la CNPS. On peut citer l’exemple des travailleurs de SOROUBAT, une importante entreprise tunisienne de BTP. Elle emploie près de 700 travailleurs à travers ses différents chantiers en Côte d’Ivoire. La direction de cette entreprise, fort de sa connivence avec plusieurs membres haut placés de l’appareil d’État ivoirien, se croyait tout permis. Elle faisait signer des contrats bidon aux travailleurs et ne les déclarait pas à la caisse de retraite. Les heures supplémentaires n’étaient pas payées sans compter toute l’arrogance de ces gens vis-à-vis des travailleurs.

Au mois d’octobre dernier, il y a eu une importante grève qui a duré deux semaines. C’est la première fois que Soroubat est confronté à un tel mouvement depuis 2007, date de sa présence en Côte d’Ivoire. Malgré la présence des forces de l’ordre et des intimidations de toutes sortes, les travailleurs ont bloqué tous les chantiers, y c
ompris le matériel de chantier c’est-à-dire les véhicules et les machines. Pour arriver à bout de ce mouvement, le patron a fait mettre en prison plusieurs grévistes, y compris un responsable syndical. Plusieurs représentants des grévistes ont été licenciés. Les travailleurs n’ont pas réussi à imposer leur réintégration mais ils ont néanmoins obtenus satisfactions sur certaines revendications comme la déclaration à la CNPS, l’augmentation de 9% sur le salaire de base, le respect de la date de la paie des salaires. Et c’est la tête haute qu’ils ont repris le travail. Aujourd’hui, cette entreprise est obligée de revoir sa copie en matière de contrat d’embauche. La direction a peur que désormais une telle grève lui éclate de nouveau à la figure…

Le casse-tête des transports en commun

Faute de bus en nombre suffisant, le transport aussi est un véritable casse-tête. Se déplacer dans une ville comme Abidjan n’est pas chose facile. La société de transport public ne dispose pas suffisamment de bus pour répondre à la demande. Dans les années 90, alors que la population de cette ville était estimée à deux millions, La Sotra (entreprise publique de transport urbain) disposait d’un parc de 1000 bus. Aujourd’hui que la population abidjanaise est estimée à près de 6 millions d’habitants, cette même Sotra ne dispose plus que de 500 bus environ. L’État a quasiment abandonné ce service pour laisser de plus en plus la place au transport en commun privé. Mais les tarifs sont élevés du fait que pour aller d’un point à un autre on est parfois obligé de prendre plusieurs fois ces véhicules privés. De plus, ils sont le plus souvent en mauvais état.

Il y a de plus en plus de travailleurs qui ne rentrent pas chez eux en semaine ; ils se débrouillent pour dormir sur le lieu de travail afin d’économiser le prix du transport et ils ne rentrent que le week-end. Certains font de l’auto-stop. D’autres marchent plusieurs kilomètres pour aller au boulot.

La chasse aux pauvres

Avec le bas niveau des salaires actuels, les travailleurs sont obligés d’habiter dans des bidonvilles. Mais de plus en plus ces quartiers sont dans le collimateur des promoteurs immobiliers. Cette année le gouvernement a procédé à la destruction de plusieurs de ces quartiers, ce sont les fameuses « opérations de déguerpissement ». Les bulldozers rasent ces quartiers sous la surveillance d’un important dispositif de force de répression. Les gens sont chassés manu militari de leurs habitations. Ce fut le cas tout dernièrement dans le quartier Riviéra 9 Kilo (Anono-Baoulé) où les plus anciens habitants étaient là depuis 1930. Il y en a eu aussi à Yopougon- Doukouré, etc.

Du jour au lendemain, des milliers de familles pauvres se retrouvent à la rue et sont obligées d’aller habiter dans des quartiers plus éloignés à la périphérie d’Abidjan, là où leur misère n’est pas visible aux yeux des riches. Ces terrains ainsi dégagés sont mis à la disposition de ces rapaces de l’immobilier.

On chasse les pauvres de leurs lieux d’habitations précaires mais on les chasse aussi des trottoirs de la ville. C’est le cas de ceux qui, victimes du chômage, sont réduits à se débrouiller sur les trottoirs pour y pratiquer diverses activités dites informelles pour survivre. Dans le quartier situé le long de la route du Zoo, de nombreux ateliers d’artisans et des échoppes de petites vendeuses ont été démolis sans pour autant que les pouvoirs publiques leur trouvent un autre site. Des centaines de petites gens perdent ainsi leur gagne-pain.

Le problème récurrent des coupures d’eau et d’électricité

Les quartiers pauvres sont aussi en proie à une grave pénurie d’eau potable et cela depuis plusieurs mois. Récemment à Yopougon, les femmes excédées par l’incurie des autorités ont manifesté pour se faire entendre. Elles ont bloqué l’autoroute du nord pendant plusieurs heures. Les autorités leur ont envoyé des forces de répressions. Ces derniers ont fait usage de gaz lacrymogène et de matraque pour disperser la manifestation. Mais par leur mobilisation, elles ont attiré l’attention des autorités sur leur sort.

Les coupures de courant sont aussi monnaie courante dans les quartiers populaires. Et le gouvernement n’a pas trouvé autre chose que d’augmenter le prix de l’électricité. Ainsi, certains se sont retrouvés avec des factures qui ont triplé. Face à la montée de l’indignation et de la grogne, Ouattara a dû reculer. Dans son discours du premier mai, il a annoncé l’annulation de l’augmentation, tout en faisant semblant de ne pas être au courant de cette situation.

L’insécurité dans les quartiers populaires

L’insécurité grandissante dans les quartiers populaires est aussi un grave problème. En plus des braquages, agressions et vols en tous genres, il y a maintenant le phénomène grandissant des « microbes » (c’est le nom qui est donné à ces bandes d’adolescents qui agressent les gens et les dépouillent). Récemment à Abobo, trois jours durant, les habitants ont fait les frais d’une attaque de ces « microbes » sans que les forces de sécurité ne daignent intervenir. C’est la même chose à Yopougon où les attaques ont coûté la vie à deux personnes. Dans beaucoup de cas, c’est la population elle-même qui assure sa propre sécurité.

La grande pauvreté, le chômage sont un terreau fertile à cette insécurité. Il faudra plus que des mesures sécuritaires pour y remédier mais là-dessus comme dans d’autres domaines il n’y a rien à attendre des autorités.

Exploitation des paysans dans les campagnes

Dans les campagnes, des petits paysans ont aussi subi la répression gouvernementale. A Assuéfry, une localité de l’est de la côte d’Ivoire (frontière Côte d’Ivoire-Ghana), il y a eu une révolte de paysans de la région contre la confiscation de plusieurs tonnes de leurs noix de cajou. La Côte d’Ivoire est un grand producteur de ce produit mais le prix d’achat aux paysans y est plus bas (entre 250 F et 350 F le kilo) qu’au Ghana (550 F / Kilo). Naturellement donc c’est vers ce pays frontalier que les paysans de la région ont tendance à aller vendre leur production.

Cette situation est récurrente dans les zones frontalières. Les différences entre les prix d’un pays à l’autre poussent les paysans à faire passer leurs produits là où les prix sont meilleurs. Et c’est par la répression que le gouvernement ivoirien et la bourgeoisie qu’il sert, obligent les paysans ivoiriens à leur brader les produits de leur labeur. Quitte à tuer comme ce fut le cas à Assuéfry.

Le bilan de ces affrontements entre les paysans et l’armée est officiellement de 4 morts et plusieurs blessés.

Résurgence d’affrontements inter communautaires ?

On a assisté aussi ces dernier temps à un certain nombre de cas de conflits intercommunautaires. Les 24, 25 et 26 Mars dernier, de violents affrontements ont eu lieu à Bouna, ville d’environ 50.000 habitants située au Nord-Est de la Cote d’Ivoire. Il y a eu plus de 30 morts et plusieurs blessés. 2000 personnes se sont réfugiées dans le camp onusien de la ville et environ 2000 autres ont trouvé refuge dans les villes frontalières au Burkina Faso, sans compter les dégâts matériels. Ce conflit a commencé par des heurts entre agriculteurs et éleveurs de la région.

Ce genre de frictions entre cultivateurs et pasteurs émaillent la vie des campagnes. Très souvent cela se règle à l’amiable sous l’arbre à palabre, parfois par quelques dédommagements symboliques. Mais cette fois-ci les ambitions des cadres de la région, en vue des joutes électorales (législatives, conseil général et municipale) à venir, ont vite fait de faire dégénérer les querelles entre deux groupes, en affrontement généralisé.

Et comme c’est toujours le cas quand il s’agit de tuerie de pauvres, la présence d’un cantonnement de l’ONU, d’un camp militaire et de force de police et de gendarmerie n’a pas servi à grande chose pour venir au secours des populations.

Aujourd’hui, une fois que le massacre a eu lieu, les politiciens au pouvoir, s’agitent dans tous les sens pour apporter leur «compassion» hypocrites et prétendent « réconcilier » les populations en conflits. Ce sont des assassins qui jouent au pompier après l’incendie.

On ne peut pas encore affirmer qu’il y a une résurgence de la barbarie ethnique en Côte d’ivoire. Mais les politiciens assoiffés de pouvoir sont capables de rallumer les conflits à tout moment pour assouvir leurs ambitions.

Construire un parti communiste révolutionnaire en Côte d’Ivoire

Voilà donc un peu la situation des classes populaires dans ce pays. L’émergence économique et la croissance à deux chiffres ce ne sont ni pour les travailleurs des villes ni pour les petits paysans. Pour tous ceux-là c’est la misère qui continue.

Les quelques exemples de luttes des travailleurs dans les usines comme dans les chantiers montrent qu’il y a une réelle colère. Ils ont le courage de faire des grèves malgré la menace de licenciement et la répression.

Lorsque nos camarades sont impliqués directement ou indirectement dans certaines de ces luttes, ils essaient de faire ce que tout militant communiste révolutionnaire a à faire : aider les travailleurs à mieux s’organiser, à défendre l’idée que tout ce qui les divise (le corporatisme, l’ethnisme et bien d’autres tares de la société capitaliste) est à combattre dans leurs rangs. Nous essayons de faire connaitre les idées communistes aux travailleurs. Et nous pouvons assurer que bien de travailleurs sont réceptifs à ces idées. En tout cas, trouver des militants ouvriers pour défendre les idées communistes révolutionnaires est possible. Cela ne peut que nous réconforter dans la tache de construire en Côte d’Ivoire un véritable parti communiste révolutionnaire.