Le pouvoir face une mutinerie de soldats
Une mutinerie de soldats a éclaté le 18 novembre. Ce jours-là, les mutins ont pris le contrôle des grandes villes telles que Korhogo, Katiola, Bouaké, et mis la panique dans la ville d’Abidjan, défiant ainsi le pouvoir public par les armes. Dans plusieurs villes, les principales artères ont été simultanément bloquées par les soldats.
À Daloa, des coups de feu ont été entendu. Les militaires ont érigé des barrages empêchant les entrées et sorties des véhicules de la ville. À Korhogo aussi, il y a eu des tirs nourris et les entrées et sorties de la ville ont été également bouclées. À Bouaké, la gravité de la situation a été encore plus palpable. La ville a été quadrillée et tous les commissariats ont été neutralisés. Les mutins ont pris possession de la RTI locale. Selon toute vraisemblance, au cours de la soirée, ils ont aussi réussi à faire main basse sur la poudrière. En tout cas, les militaires ont paradé dans la ville très fortement armés.
Un pouvoir pris de cours
Si le pouvoir a parlé de manifestations de soldats à « mains nues », c’était uniquement pour faire croire aux gens que le problème n’était pas si grave et qu’il contrôlait la situation. Il a voulu surtout éviter que le mouvement fasse tâche d’huile et finisse par le balayer.
Ouattara a certainement en souvenir que son acolyte actuel, Bédié, avait été éjecté du pouvoir en 1999 pour avoir justement voulu tergiverser avec les militaires du rang qui s’étaient mutinés. C’est la raison pour laquelle, très rapidement, les représentants des mutins ont été reçus à la Présidence avec tous les honneurs, comme des héros. Le gouvernement a aussitôt débloqué des dizaines de milliards de francs pour satisfaire à leurs revendications.
Manifestement, le pouvoir a été pris de cours. Ce n’est qu’après avoir platement accepté de négocier avec les mutins que Ouattara a ensuite déployé ses « forces spéciales » dans certains points stratégiques de la ville d’Abidjan. Ce faisant, il n’a fait que démontrer la fragilité de son pouvoir qui repose en grande partie sur cette armée qu’il ne contrôle pas autant que ce qu’il laisse croire. Heureusement pour lui que l’armée française est à quelques pas de sa présidence en cas de besoin !
Qui sont ces mutins ?
Ces ex-rebelles des forces armées de forces nouvelles (Fafn) qui se sont mutinés sont constitués de deux catégories. Il y a d’abord les ex-Fds, au nombre de 575, officiellement réintégrés dans le corps armées en 2009, suite à l’accord de Ouagadougou entre Gbagbo et son opposition armée. Ensuite, la grande majorité des mutins, au nombre de 8400, a été intégrée dans l’armée en 2011. Ensemble, ils viennent de rappeler à Ouattara, Soro, Bédié, Bakayoko et consort, eux tous qui ont les deux mains plongées dans la mangeoire ; eux qui ont les comptes bancaires bourrés et le ventre bien repu, que ce sont bien eux les ex-rebelles qui les ont installés au pouvoir par la force des armes. Certes, avec le soutien des forces armées impérialistes. Mais sans eux, dans tous les cas, les Ouattara et sa clique ne seraient pas aujourd’hui au pouvoir. Alors, quand Ouattara dit à qui veut l’entendre qu’il a été « élu démocratiquement », sa soldatesque est là pour lui rappeler que sans eux il n’est rien !
Ils ont obtenu des engagements et des promesses
Les mutins ont réussi à créer un rapport de forces tel que leurs revendications ont été satisfaites au-delà leurs espoirs. Ils ont obtenu le paiement des « arriérés de solde » de 2009 à 2011. Ce n’était pourtant pas la revendication de départ des 8400 d’entre eux intégrés seulement en 2011. Ils ont aussi obtenu le paiement des « baux administratifs » avec effet rétroactif depuis 2009 jusqu’à 2014 pour eux tous ; ce qui est encore un autre cadeau de Monsieur le Président pris à la gorge.
Par ailleurs, le groupe de 8400 actuellement au grade de caporal ont aussi obtenu leur changement de grade, avec surtout l’augmentation de la solde qui va avec. Certains d’entre eux passeront ainsi au grade de caporal-chef et d’autres, directement à celui de sergent. Ils ont appris d’expérience à travers leur ex-chef com’zone Wattao qu’il est possible de passer du statut de cuisinier avec un grade de caporal à celui plus intéressant de lieutenant-colonel où celui-ci a été bombardé. Il suffit pour cela de saisir une opportunité et de braquer son arme au bon endroit et au bon moment !
« Je vous donne ce que vous exigez et vous m’aidez à réprimer les autres »
Ce n’est d’ailleurs pas encore dit que Ouattara et son clan s’en soient tirés d’affaire pour autant. D’abord, il y a cette « prime spéciale de guerre » ou « prime Ecomog » d’un montant de 5 millions de francs par tête, revendiqués par ces ex-combattants. Là-dessus, il n’y a eu aucune communication officielle du gouvernement. Tout laisse croire que le pouvoir veut régler cette revendication en sous-main sans que cela face trop de bruit ; ceci, pour éviter peut-être que d’autres catégories de corps habillés n’aient la mauvaise idée d’exiger à leur tour le paiement de ces 5 millions. En tout cas, Ouattara a dit lui-même à ces mutins : « Tous vos problèmes seront résolus. Et à partir de maintenant, je vous demande de vous comporter en soldats modèles. Je vous, le demande. Parce que si vous n’êtes pas des modèles, vous allez créer la chienlit dans ce pays ». Et d’y ajouter : « c’est à vous de nous assurer que d’autres ne rentrent pas dans la danse ». En d’autres termes, Ouattara leur dit : « je satisfais vos revendications. A vous de m’aider à réprimer les autres ».
Il y a-t-il d’autres candidats à la mutinerie ?
Les « autres » en question, ce sont avant tout les dizaines de milliers d’ex-combattants qui espèrent toujours leur intégration dans l’armée et qui ponctionnent pour l’instant directement leur prébende sur les populations. Les attaques à main armées et les coupeurs de routes, par exemple, ce sont eux. Ils, constituent une menace potentielle pour le pouvoir.
D’ailleurs, un tout petit nombre d’entre eux s’était aussi mis dans la « danse », le même jour à Abobo. En effet, un groupe encagoulés portant des treillis pour certains, armés de quelques armes, ont tenté de mettre la pagaille. Ils avaient même réussi à braquer un véhicule Ccdo (Centre de coordination des décisions opérationnelles), un véhicule de ceux-là même qui sont censés être des « élites » de l’armée, spécialisé dans le maintien de la sécurité. Ils avaient aussi pris le contrôle du commissariat du 13ème, après en avoir chassé les policiers.
Ce sont finalement les Frci du camp commando d’Abobo qui sont venus facilement à bout de ces quelques insurgés mal préparés, en trop petit nombre, et qui avaient probablement cru à tort que l’invitation à la danse leur avait été aussi ouverte. Il y a eu un mort dans cette échauffourée, dont le cadavre n’a été ramassé que le lendemain.
Et du coté des ex-Fds et des policiers ?
Il y a les ex-Fds qui voudraient certainement aussi goûter à leur part de gâteau. Mais ceux-là avec leurs collègues ex-rebelles se regardent encore en chiens de faïence et gardent plutôt encore la queue basse. Il y aussi la police dont leurs représentants s’étaient d’ailleurs invités dans la salle de négociation sans y avoir été conviés. Ils espéraient ainsi pouvoir eux aussi poser leurs revendications mais ils ont été chassés de la salle comme des malpropres par les autorités gouvernementales.
Blaguer tuer
Si ces soldats mutins ont eu tous les égards des autorités gouvernementales ; s’ils ont été reçu en grande pompe à la Présidence et ont eu droit à
la photo de famille et sont passés à la télé ; si Ouattara a eu des mots gentils pour eux, du genre : « Vous avez défendu la patrie et la patrie doit faire preuve de reconnaissance et de gratitude (…) c’est une question d’équité (…) je suis fier de vous », cela ressemblait aux propos de quelqu’un qui a un fusil braqué sur sa tempe. Il fait penser à un maître-chien qui a peur d’être mordu par ses propres chiens, mais dont il a aussi besoin pour défendre ses intérêts et de ceux dont il en a la garde.
« Qui a du fer a du pain ! »
Aux yeux des autorités, ces soldats du rang qui sont généralement issus des quartiers pauvres, sont considérés comme leurs chiens de garde. Ils les traitent d’ailleurs généralement comme tels. Ils en ont besoin pour réprimer d’éventuelles révoltes venant des populations pauvres. Les bourgeois savent que ces travailleurs qu’ils écrasent et qu’ils oppriment finiront un jour par se révolter et remettre en cause le système économique et sociale capitaliste qui les opprime et qui les réduit à la misère.
Mais gageons que le jour venu, même ces militaires ne seront pas pour eux un repart. Les travailleurs finiront bien par trouver le chemin de leur libération. Après tout, même ces militaires derrière lesquels la bourgeoisie se protège, ne viennent-il pas de leur propre rang ? Alors, quelque part, il y a des odeurs qui restent et qui peuvent servir de ralliement le moment venu. Dans tous les cas, les soldats mutins viennent de montrer que « qui a du fer a du pain ».