La panique du pouvoir devant la révolte de ceux qui sont censés mater les révoltes
Une troisième mutinerie de soldats vient encore de remuer la Côte d’Ivoire. Les 8400 ex-rebelles enrôlés dans l’armée ont remis une deuxième couche, et comme précédemment, ont eu gain de cause.
En janvier, suite à leur premier mouvement, un accord sur une prime de 12 millions avait été trouvé avec le gouvernement. Ils avaient reçu 5 millions séance tenante et le reliquat devait leur être versé en tranche d’un million à partir de fin mai. Mais le mercredi 10 mai, une cérémonie de renonciation à cette prime avec le Président et des soldats acquis à sa cause, est organisée à la Présidence. Si cette opération de communication pour ses concepteurs était censée mettre fin aux revendications des soldats, elle a plutôt produit l’effet contraire. Aussitôt, la plupart des camps militaires (Bouaké, Abidjan, Korhogo, Odienné) sont entrés en ébullition. Les militaires concernés, pour marquer leur désaccord, se sont mis à tirer en l’air et ont érigé des barrages sur les voies jouxtant leur camp.
Dans un premier temps le gouvernement a voulu montrer ses muscles. Il a déployé l’artillerie lourde autour de l’état-major des armées en s’appuyant sur la garde présidentielle (GSPR), le CCDO et la gendarmerie. À Abidjan, après une matinée un peu bruyante, tout paraissait en apparence sous contrôle dans l’après-midi du vendredi. Le RHDP, coalition gouvernementale, a pu même organiser un rassemblement de protestation contre la mutinerie. Le soir à la télé, le chef d’état-major des armées profère des menaces contre les mutins, leur enjoignant de renoncer à leur manifestation ou de s’attendre à être frappés par la rigueur de la loi.
Loin d’effrayer ceux de Bouaké, cela va les pousser à durcir leur mouvement. Ils prennent le contrôle total de la ville. Un début de manifestation suscité probablement par le pouvoir contre la mutinerie va trouver les mutins sur leur chemin.
Le dimanche, le gouvernement annonce l’envoi de troupes sur Bouaké pour une confrontation avec les mutins. Mais ces derniers n’y arriveront jamais. Est-ce parce qu’il n’a pas trouvé de troupes prêtes à se battre ou parce que les mutins de Bouaké ont trouvé le moyen de s’équiper en armement flambant neuf et adéquat pour attendre l’arrivée des troupes gouvernementales ?
Le lundi, les camps d’Abidjan sont entrés de nouveau dans la danse. Des unités militaires cantonnées dans d’autres villes se sont mis en mouvement. Même San-Pedro deuxième ville portuaire du pays a connu de telles perturbations.
Le pouvoir d’Abidjan a eu le temps de se rendre compte que la confrontation risque d’être longue et ne serait pas forcément à son avantage. Il a donc engagé la négociation avec les mutins revenant sur ses propres déclarations de la première heure. C’est ainsi que les mutins ont obtenu le paiement de cinq millions de francs sur le champ et le reliquat payable au mois de juin.
Ainsi, les choses se sont inversées au cours des quatre jours qu’a duré la mutinerie. Le gouvernement qui pensait flouer les militaires en organisant une cérémonie fantoche a été pris dans son propre piège. Face à la mobilisation et à la détermination des petits soldats, les pontes du pouvoir n’ont eu d’autre choix que de rentrer dans leurs petites bottes pour négocier une sortie honorable pour eux. C’est ainsi que le ministre de la défense qui affirmait le vendredi qu’il n’y aurait pas de négociation possible, se félicitait le mardi de ce que les soldats avaient accepté les cinq millions pour regagner les casernes.
La rapidité avec laquelle le gouvernement a lâché du lest, donne la mesure de sa panique devant la mutinerie des soldats en arme alors qu’avec les fonctionnaires qui réclament le paiement de leurs arriérés il se montre arrogant. Mais il ne faut pas qu’il oublie que les fonctionnaires ont aussi entre leurs mains l’arme de la grève et que s’ils persiste à les mener en bateau, ils finiront par trouver les moyens de toucher les points sensibles du pouvoir et des classes possédantes.