La grève des fonctionnaires, une lutte pleine d’enseignements pour les luttes futures
La dernière grève des fonctionnaires date du mois de janvier. Elle a duré trois semaines, avant que les grévistes ne décident de la suspendre durant un mois, sous la pression du gouvernement, mais après avoir tout même obtenu gain de cause sur les quatre principales revendications sur six.
Cette suspension de grève leur a donné le temps, d’une part de vérifier concrètement les avancées obtenues sur leur paie et de l’autre, de continuer les discussions avec le gouvernement sur les autres revendications, dont les 249 milliards qui leurs sont dus, mais que le gouvernement refuse de payer.
C’est avec beaucoup de méfiance que les grévistes ont accepté de suspendre cette grève, craignant à juste raison que le gouvernement n’en profite pour les duper. En effet, tous les gouvernements qui se sont succédé, depuis Gbagbo, pour ne pas remonter plus loin, ont en commun de ne pas tenir leurs engagements. Tous ont usé de la répression contre les fonctionnaires à chaque fois qu’ils ont fait grève. Et quand, malgré tout, ils ont parfois réussi à contraindre le gouvernement à céder sur quelques-unes de leurs revendications, celui-ci leur a souvent servi un discours dans le genre : « Nous accédons à vos revendications. C’est un acquis. Mais le fait est que même avec notre meilleure volonté, nous ne sommes pas aujourd’hui en mesure de vous payer. Vous connaissez la situation de la Côte d’Ivoire… », et blablabla.
C’est ainsi que d’année en année, de 2009 à 2014, s’est accumulé un « stock d’arriérés » s’élevant à 249 milliards que l’État doit aux fonctionnaires mais que le gouvernement refuse aujourd’hui de payer.
Lors de cette grève, c’est d’abord un refus catégorique que le gouvernement a opposé à leurs revendications. D’ailleurs, quelques jours avant de céder, le nouveau Premier ministre Gon Coulibaly, leur déclare dans un discours qui se veut guerrier, «Je suis un lion. J’aime la bagarre. Je ne vous donnerai rien. Faites ce que vous voulez ». Sauf que quelques jours plus tard, les grévistes ont fait avaler au « lion » ses propres paroles, en l’obligeant à céder !
Avant d’être Premier ministre, Gon Coulibaly est d’abord un richissime homme d’affaires, un capitaliste comme ceux-là même qui exploitent les travailleurs dans le bâtiment et dans les zones industrielles. Bien d’autres membres du gouvernement sont comme lui. Quand ils ne sont pas directement des exploiteurs, ils ont mille liens familiaux ou d’affaires avec les capitalistes. C’est donc naturellement qu’ils défendent leurs intérêts en faisant souvent intervenir les forces armées contre les grévistes. Tout travailleur ayant un vécu sait d’expérience que les capitalistes ne comprennent d’ailleurs que le langage de la force !
Alors, quand le porte-parole du gouvernement déclare à l’issue du dernier conseil des ministres que « le gouvernement condamne et déplore ces formes violentes de revendications » en ajoutant que « cela se termine toujours par des discussions autour d’une table », il faisait peut-être de l’humour pour faire rire les soldats impatients auxquels il s’adressait. En tout cas, ceux-là n’ont obtenu jusque-là gain de cause que lorsqu’ils ont fait parler la poudre et semé la pagaille. Ce qui est sûr c’est que leur mutinerie a donné des idées aux autres corps habillés qui voudraient bien eux aussi palper les millions obtenus par les premiers.
Aujourd’hui, les travailleurs n’ont pas de fusils et de mitraillettes pour faire valoir leurs droits à une vie décente, mais ils ont entre leurs mains d’autres moyens pour y arriver. C’est leur capacité de se mettre en grève et de bloquer l’économie capitaliste, c’est-à-dire de toucher gravement aux profits des capitalistes, à leurs portefeuilles ! Cela nécessite une lutte d’envergure touchant un large secteur de l’économie, depuis les banques jusqu’aux zones industrielles, en passant par le transport et le port. À ce moment-là, la « négociation » peut être favorable aux travailleurs, car ce sera sur un rapport de forces différent.
Tous les travailleurs peuvent constater dans leur chair à quel point leur situation s’est dégradée depuis ces trente dernières années. Tout le monde peut aussi constater que la situation des capitalistes n’a cessé de s’améliorer, et cela malgré toutes ces années de crise qui leur a servi de prétexte pour aggraver toujours un peu plus la vie des travailleurs ainsi que leurs conditions de travail.
Alors, oui, les fonctionnaires peuvent faire cracher les 249 milliards que l’Etat leur doit, à condition de peser encore un peu plus sur le rapport de forces. Ils pourraient le faire en cherchant le contact avec les travailleurs de la zone industrielle et ceux du port, par exemple, pour que ces derniers formulent leurs revendications et s’organisent pour se mettre en grève. Ainsi, tout le monde du travail y gagnerait par la même occasion.
Il faut rappeler que la force des fonctionnaires à cette dernière grève, c’est d’abord leur union. Ils ne se sont pas laissé diviser par le corporatisme, l’appartenance syndicale, ou politique, ou d’autres divisions de quelque ordre que ce soit. Malgré cela, on a vu que le gouvernement n’était pas prêt à céder. Il a fallu que les employés des impôts et ceux de la douane s’y mettent à leur tour, aux tout derniers jours, pour que le gouvernement, et derrière eux les capitalistes, sentent la grève peser un peu plus sur leurs activités. Tant que c’étaient les hôpitaux et les écoles publiques qui étaient en grève, où ce sont uniquement les pauvres qui y vont, cela ne gênait pas outre mesure les riches et le gouvernement. Mais quand le blocage administratif aidant, l’économie a commencé à être perturbée, et les affaires des capitalistes avec, alors là, le langage du gouvernement a du coup changé. Ainsi, on peut imaginer le résultat d’une grève des fonctionnaires faisant tâche sur tout un pan de l’économie.
Ce qui manque aujourd’hui aux travailleurs, c’est justement la conscience qu’ensemble, ils constituent une force colossale capable de faire plier les capitalistes et le gouvernement qui sert leurs intérêts. Ce qui manque aussi, c’est un parti regroupant les éléments les plus conscients des travailleurs, incarnant à la fois leurs intérêts immédiats et les objectifs à plus long terme visant à mettre fin à l’exploitation de l’homme par l’homme. Un tel parti reste à construire.