La candidature qui a fait déborder la vase

12 mars 2019

ALGÉRIE

En Algérie, les électeurs sont appelés aux urnes le 18 avril prochain pour désigner le nouveau chef de l’État. Cette présidentielle se présentait comme un événement ordinaire. Mais depuis l’annonce de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à sa propre succession pour un cinquième mandat, le climat s’est tendu : un mouvement de contestation massif a éclaté dans tout le pays.

Tout a commencé quelques jours avant l’annonce officielle de cette candidature avec la diffusion sur les réseaux sociaux d’une vidéo d’un rassemblement d’une centaine de jeunes, scandant des slogans hostiles au régime. Le 16 février, des milliers de personnes ont manifesté à Kherrata, dans l’est. Malgré les menaces et intimidations du gouvernement, un nouvel appel à manifester le 22 février a circulé, rencontrant un écho favorable. Des manifestations d’ampleur ont eu lieu dans tout le pays, notamment à Annaba, Sétif, Béjaia, Oran et Ouargla dans le sud du pays. Le 1er mars, à Oran par exemple (deuxième ville du pays), quelque 10.000 personnes ont marché dans la rue pour dissuader Bouteflika de se porter candidat. Sur les pancartes, on pouvait lire : « Bouteflika dégage ! » ou « FLN dégage ! ». Le même jour à Alger, des centaines de milliers d’Algériens ont défilé au cri de « Ni Bouteflika, ni Saïd » (le frère du président). Les forces de l’ordre ont chargé alors que cette manifestation était pacifique. Il y a eu un mort et de nombreux blessés. Le 3 mars à Paris, 6000 ressortissants algériens ont investi la Place de la République pour faire pression sur le gouvernement algérien afin d’empêcher la candidature du président sortant. Le même jour il y a eu aussi des manifestations à Marseille et à Toulouse.

Après plusieurs jours de manifestation de rue, le pouvoir est sorti de sa réserve. Le directeur de la campagne de Bouteflika a lu une lettre qu’aurait écrite ce dernier dans laquelle il affirme que s’il est réélu, il y aura une nouvelle élection présidentielle anticipée à laquelle il ne sera pas candidat. Est-ce une manœuvre de diversion pour gagner du temps ou une petite concession pour calmer la situation ? En tout cas pour les manifestants -des jeunes pour la plupart- cette annonce n’a fait que jeter de l’huile sur le feu.

À la tête du pays depuis 1999, Bouteflika, 82 ans, est très affaibli physiquement depuis son AVC en 2013. Il se déplace en fauteuil roulant et ne s’est plus adressé directement aux Algériens. Sa candidature, si elle paraît servir les intérêts du régime en place, elle est considérée comme un mépris pour le peuple algérien.

Dans ce pays de 42 millions d’habitants, 45 % de la population est âgée de moins de 25 ans. La majorité n’a connu que le régime actuel. Bien qu’une grande partie de la jeunesse soit de plus en plus éduquée et diplômée, elle se heurte au chômage de masse, à la précarité et aux bas salaires. La candidature de Bouteflika sonne comme l’annonce que cette situation sociale, qui se dégrade et qui n’offre pas d’avenir, va perdurer.

Les classes populaires algériennes paient en effet la crise au prix fort. Avec l’inflation et la dévaluation du dinar, elles sont confrontées à l’effondrement de leur pouvoir d’achat. Le salaire minimum équivalent à 130 euros ne permet pas de vivre : « Où sont parties les richesses du pays ? Où est l’argent du pétrole ? Pourquoi une telle misère ? ». Ce sont des questions que les gens se posent.

C’est une profonde colère sociale qui s’exprime ces jours-ci en Algérie et qui va bien au-delà de la question de la reconduction ou non de Bouteflika à la présidence.

Le mot d’ordre contre le cinquième mandat fait aujourd’hui l’unanimité et rallie tous les mécontentements. Mais pour trouver une issue, la colère des classes populaires devra se traduire en objectifs concrets de lutte, contre des classes dirigeantes et un régime qui ne savent que leur faire payer les conséquences de la crise.