Il y a 30 ans éclatait la « guerre de Noël » entre le Mali et le Burkina Faso, pour un bout de territoire
L’ancienne puissance coloniale française, dans le but de diviser pour continuer à régner sur ces anciennes colonies après la décolonisation, a tracé des frontières arbitraires et aberrantes pour les futurs États africains indépendants. Des populations d’une même ethnie, vivant sur le même espace géographique, voire parfois dans le même village, furent scindées en plusieurs « nationalités ». Ce fut le premier cadeau empoisonné de l’impérialisme français à ses anciennes colonies d’Afrique.
Peu de temps après les indépendances, des conflits éclatent entre les États voisins pour se disputer la « propriété » sur tel ou tel territoire dont le tracé ne leur convenait pas. Ce fut le cas, entre autres, entre le Sénégal et la Mauritanie, le Niger et l’ex-Haute Volta, le Mali et la Guinée ainsi qu’entre le Mali et la Haute Volta, etc. Il y a eu parfois des morts par centaines, parfois cela s’est réglé devant un tribunal international. Plus d’un demi-siècle après les indépendances, des conflits demeurent encore non résolus et risquent à tout moment de servir de prétexte aux dirigeants des États africains pour entraîner les populations dans une guerre fratricide.
La guerre qui éclate le 25 décembre 1985 entre l’État malien du dictateur Moussa Traoré et le Burkina Faso de Thomas Sankara, à propos de la « bande d’Agacher » (une fine langue de terre d’une trentaine de kilomètres de long, à cheval entre les deux pays), est une illustration sanglante de cet héritage colonial. Ce jour-là, l’armée malienne lance une offensive à l’intérieur du territoire burkinabè. Plusieurs dizaines de chars maliens (150 chars selon certains), accompagnés par des avions Mig 21 bombardent des villes comme Djibo et Ouahigouya. L’objectif de Moussa Traoré est de prendre en tenaille la seconde ville du pays, Bobo-Dioulasso.
Les affrontements entre les deux armées sont meurtriers : 141 morts et près de 300 blessés du côté burkinabé contre 38 morts et 17 blessés du côté malien. Des prisonniers de guerre sont sommairement exécutés. Le bombardement aérien du marché de la ville Ouahigouya par l’armée malienne est particulièrement sanglant. Les combats durent cinq jours avant qu’un accord de cessez-le-feu soit trouvé le 30 décembre sous l’égide du président ivoirien Houphouët Boigny.
Cette « guerre de Noël » de 1985 n’est que la suite de celle de décembre 1974 qui s’est aussi soldée par quelques morts. Thomas Sankara n’était alors qu’un simple lieutenant dans l’armée du général Sangoulé Lamizana. Il se trouvait à la tête d’un commando qui prit le village de Douma en tuant deux soldats maliens. C’est un fait d’arme dont il était fier et qu’il utilisera plus tard pour servir de propagande lors de sa prise de pouvoir par un coup d’État en Août 1983.
Au Mali comme au Burkina Faso, les populations ont durement souffert de cette guerre. Lors de la première guerre de 1974, à Ouagadougou la population est mobilisée autour de « centres de mobilisation ». Un douzième du salaire des fonctionnaires est retenu pendant 12 mois. A Bamako, le salaire des fonctionnaires n’est pas perçu pendant plusieurs mois. Le gouvernement malien a prélevé plus d’un milliard de francs Cfa auprès des ressortissants maliens vivant en Côte d’Ivoire.
Neuf années plus tard, en 1985, Thomas Sankara et Moussa Traoré sont confrontés à une crise politique et une contestation populaire. A Ouagadougou, deux ans après l’arrivée de Sankara au pouvoir, les CDR (Comité de défense de la révolution), sont devenus impopulaires. Les syndicalistes sont emprisonnés sous prétexte de mener une activité subversive. Il faut rappeler que dès 1983 Thomas Sankara a déjà licencié 2500 enseignants pour fait de grève. Toute opposition est bâillonnée tandis que la population vit sous la crainte des CDR omniprésents dans les quartiers populaires.
A Bamako, la population vit sous la terreur du régime militaire de Moussa Traoré et sous le règne du parti unique. Les caisses de l’État sont dilapidées par les tenants de la dictature et l’État ne peut plus payer les fonctionnaires. Le mot d’ordre de la grève générale est lancé. C’est le moment que Moussa Traoré a choisi pour lancer l’offensive militaire contre le Burkina Faso afin de reconquérir la « bande d’Agacher ». Le dictateur malien déverse un flot de propagande nationaliste dans les ondes et dans la presse écrites pour détourner la contestation sociale.
De son côté Thomas Sankara se réjouit aussi de trouver-là une occasion d’étouffer la contestation en mobilisant les gens sur la guerre. Chacun a trouvé dans la propagande nationaliste un moyen de détourner la colère populaire vers une impasse.
Trente années après, ce conflit armé entre les deux pays fait partie du passé, mais rien ne dit que nos dirigeants n’utiliseront pas d’autres prétextes pour détourner la colère populaire vers de nouvelles impasses. Les exploiteurs et les oppresseurs des peuples trouvent toujours des moyens de tromper les populations pour continuer à exploiter ou s’accrocher au pouvoir et aux privilèges liés à ce pouvoir. Il est important que les travailleurs s’organisent et prennent conscience de leurs intérêts collectifs, par-delà les frontières et par-delà les barrières ethniques