Déguerpissements : quand les forces de l’ordre se comportent comme des hors-la-loi
LEUR SOCIÉTÉ
Depuis le 15 janvier 2020, la Société de développement des Forêts (SODEFOR) mène une opération de déguerpissement des paysans dans les zones protégées de plusieurs localités dans l’ouest du pays.
Dans la Forêt classée de Rapides-Grah, située à cheval sur les départements de Méagui et de San-Pedro, dans une opération menée conjointement par les agents des Eaux et Forêts, la Gendarmerie nationale et les Forces armées de Côte d’Ivoire, les habitants de 8 villages et plus d’une dizaine de campements ont été déguerpis.
À Guigbagui (Bandikro), village de plus de 20.000 âmes et bâti sur ce site depuis plus de 60 ans voici ce que décrit un témoin : «Les forces de l’ordre ont, à l’aide des machines, détruit sur leur passage l’école primaire de 12 classes qui est le seul centre d’examen ici, le dispensaire, les commerces sans oublier toutes les habitations, tout a été détruit et brûlé. 8 chargements de cacao, des motos, des matelas d’un hôtel et le matériel du dispensaire, des bêtes ont été emportés par les visiteurs du jour. Des personnes ont signalé également la perte de sommes d’argent allant de 50 mille à plus d’un 1 million. Nos enfants n’iront plus à l’école. Les enseignants n’ont pas été épargnés par la furie des forces de l’ordre, leurs logements ont été également cassés».
Des populations occupant la forêt classée de Scio dans le Guémon, situé entre Bangolo, Guiglo et Bloléquin, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, ont aussi été traitées pareillement. Deux villages et des campements ont été incendiés par les forces de l’ordre. Le 7 février, les populations ont été affolés par des rafales d’armes. Les hommes en armes ont fait irruption dans leurs villages et campements ; ils ont sommés élèves et enseignants de vider les classes qui ont été incendiées par la suite. Les populations ont échappé à la violence en se sauvant dans la brousse. Les campements et les villages ont été entièrement incendiés ne laissant même pas la possibilité aux populations de sauver le moindre bien. Comme en témoigne le chef d’un des villages incendiés : « Ils m’ont menacé avec leurs armes et ont refusé que je sauve même une aiguille. Ils ont chassé les enseignants et brûlé leurs résidences ainsi que l’école…, nous avons tout perdu.».
Le problème de terres agricoles est récurrent en Côte d’Ivoire. Avec la croissance de la population et le manque de perspective ailleurs, les paysans se sont installés au fur à mesure dans des aires protégés, y fondant des villages et des campements. L’État les y a souvent accompagnés en y bâtissant écoles, centres de santé et autres infrastructures socioéconomiques.
Par exemple, dans la forêt classée de Scio, vaste de 88 000 hectares, à cheval sur les régions du Cavally et Guémon, on dénombre 36 villages (dont 4 ont été incendiés), 21 écoles primaires et plus de 40 000 habitants. Cette situation est plus ou moins le cas de toutes les aires protégés du pays.
L’État en appliquant des méthodes de guerre pour déguerpir les populations, envenime la situation foncière déjà très problématique dans le pays et montre tout le mépris qu’il a pour le sort des petits gens.
Pourquoi des mesures aussi brutales maintenant après avoir laissé faire les choses pendant des décennies ? Est-ce pour réagir aux critiques de l’Union Européenne sur la déforestation? Quoi qu’il en soit, il n’est pas acceptable que du jour au lendemain des milliers de personnes soient privées de leurs foyers et de toutes leurs sources de revenus et jetées manu militari dans la nature sans mesure d’accompagnement, ni compensation.