Derrière les propos abjects d’Abdoulaye Wade…

24 mars 2015

SÉNÉGAL

Lors d’une conférence de presse tenue le 24 février dernier à Dakar, l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade, venu soutenir son fils Karim accusé et mis en prison par les tenants du pouvoir actuel pour enrichissement illicite, a tenu des propos abjects à l’encontre de son successeur Macky Sall. Il a déclaré que celui-ci est « un descendant d’esclave […] ses parents étaient anthropophages […] Je le dis et je l’assume parce qu’on ne peut pas toujours cacher les vérités. […] Jamais je n’accepterai que Macky Sall soit au-dessus de moi. Jamais mon fils Karim n’acceptera que Macky Sall soit au-dessus de lui. On serait dans d’autres situations, je l’aurai vendu en tant qu’esclave … « .

Ces propos ont indigné, à juste tire, de nombreux travailleurs dans l’émigration mais aussi de nombreuses personnes au Sénégal, y compris au sein du PDS (le parti politique fondé par Wade). Certains ont tenté de « pardonner » Wade en disant qu’il s’est laissé emporter par sa volonté de défendre son fils et que ses paroles ont dépassé sa pensée. Mais la réalité, c’est que ces paroles sorties de la bouche de l’ancien président, illustrent le fond de sa pensée et par la même occasion une mentalité et une pratique sociale liées au système de castes, héritage des temps anciens et qui survit encore aujourd’hui dans la société sénégalaise traditionnelle. Dans cette société traditionnelle, les gens de la « caste noble » (caste dont se revendique Wade) ne peuvent toujours pas supporter qu’une personne de « caste inférieure » puisse être « au-dessus » d’eux. Dans les familles traditionnelles il est de coutume de se marier à l’intérieur d’une caste.

Grace à l’urbanisation de plus en plus forte du pays, ces vieilles coutumes ont reculé au fil des ans. Les populations se sont mélangées par la force des choses entre les ethnies et les castes dans les quartiers populaires des grandes agglomérations urbaines, mais elles sont loin d’avoir complètement disparu même si dans l’élite politique du pays il est de bon ton de déclamer que le Sénégal est entré dans la « modernité » et dans la « démocratie » bien avant son indépendance.

Même si officiellement, bien des pratiques anciennes sont interdites par la loi, personne n’ignore qu’elles persistent dans la réalité, y compris dans la capitale et à plus forte raison dans les coins les plus reculés du pays. Il en est ainsi de l’esclavage ou des pratiques assimilées à celui-ci. C’est ainsi par exemple, que les grands marabouts continuent en toute impunité d’exploiter les « talibés » dans leurs plantations d’arachide. Le travail gratuit de ces derniers leur permet d’amasser des fortunes immenses. Ils sont devenus des milliardaires en boubou et chapeau traditionnel musulman; et leur influence dans la société ne fait que grandir. Les dirigeants politiques du Sénégal ont tendance à pointer du doigt l’esclavage persistant en Mauritanie voisine mais ils ferment les yeux et sont complètement impuissants devant les pratiques esclavagistes des grandes confréries religieuses de leur propre pays.

Il en est de même des pratiques du mariage forcé et de l’excision des filles. Elles sont interdites par la loi mais elles continuent de faire des ravages dans la société sénégalaise.

Alors, les propos abjects de Wade à l’encontre de son compagnon de route devenu son rival, ne font que mettre en lumière ce que les élites dirigeantes sénégalaises veulent masquer par leurs discours pompeux et trompeurs sur la « modernité » de leur pays.

Au Sénégal comme ailleurs, on ne pourra mettre fin à ces pratiques et préjugés avilissants que lorsque les travailleurs et l’ensemble des exploités détruiront les fondements de cette société de classes et d’oppression.