Avec le sucre, il y en a qui se sucrent !

24 mars 2022

SÉNEGAL

Durant trois jours, les consommateurs ordinaires ne trouvaient pas de sucre dans le commerce alors qu’il est produit en grande partie localement par un industriel qui bénéficie par ailleurs des largesses de l’État. La raison de cette subite disparition est que le fabriquant local et les gros importateurs de ce produit ont décidé d’augmenter leurs prix de vente. Mais le gouvernement, sachant que la grogne contre la flambée des prix des denrées de première nécessité risque à tout moment de se transformer en coup de colère, a demandé aux petits commerçants de continuer de vendre leur sucre au même prix qu’avant. Mais ceux-ci ont préféré retirer ce produit plutôt que de le vendre à perte. C’est ainsi que dans tout Dakar on avait beau faire le tour de tous les commerces de son quartier pour trouver du sucre, en vain.

Le gouvernement a tenté de faire porter le chapeau aux petits commerçants en envoyant des inspecteurs et des commissaires dans les quartiers pour les forcer à sortir le sucre qu’ils ont stocké. Mais ceux-ci n’ont pas cédé. Le bras de fer a duré trois jours au bout desquels le gouvernement a fait marche arrière. Les commerçants ont mis leur sucre à la vente mais à un prix supérieur. La tentative du gouvernement de les désigner comme boucs émissaires auprès de la population n’a pas fonctionné et c’est tant mieux car les vrais responsables de la hausse des prix se trouvent à un autre niveau, parmi les gros capitalistes de la production, de l’import-export et du grand commerce.

Au Sénégal, le monopole de la production du sucre appartient depuis 1972 à la Compagnie Sucrière du Sénégal (CSS). Son propriétaire, Mimran, un milliardaire franco-libanais, était un ami de l’ancien Président Senghor. C’est aussi cette compagnie qui en détermine le prix de vente sur la totalité du pays. L’État sénégalais interdit toute importation de sucre et fait la chasse à ceux qui vont le chercher en Gambie ou en Mauritanie où on peut l’acheter à deux fois moins cher.

Comme la quantité produite par la CSS ne suffit pas à satisfaire la demande locale, il y a souvent des pénuries et des mécontentements. L’État a fini par délivrer des licences d’importations à un groupe de négociants, mais il maintient le prix de vente du sucre importé à un prix artificiellement élevé pour qu’il ne fasse pas la concurrence à celui produit par la CSS.

Si l’État sénégalais continue de protéger depuis 50 ans l’entente entre lui et la famille Mimran, c’est parce que les milliards de francs CFA de profits engrangés par la CSS lui permettent d’arroser quelques têtes haut placés dans appareil d’État, y compris après chaque changement de dirigeants au sommet du pouvoir. Et pendant que ces derniers s’en mettent plein les poches, ils cherchent des boucs émissaires pour les donner en pâture à la population lorsque la colère éclate au grand jour. Mais cette stratégie ne marche pas tout le temps et peut parfois se retourner contre eu