La guerre au Tigré fait des ravages dans la population

10 décembre 2020

ÉTHIOPIE

Depuis le début novembre, la guerre a éclaté entre le gouvernement central d’Éthiopie et les autorités de la région-État du Tigré. Les victimes sont nombreuses, essentiellement au Tigré et à sa frontière avec la région-État Amhara.

Des combats meurtriers entre l’armée tigréenne et éthiopienne ont eu lieu à Mékelé, la capitale régionale du Tigré qui compte 500 000 habitants. L’espace aérien est fermé, tous les vols sont annulés, il n’y a plus de communication internet dans la région.

Des deux côtés de la frontière Tigré-Amhara, les morts se comptent par milliers, peut-être plus. Des organismes humanitaires dénoncent la présence de charniers. Il est bien évident que ce sont les populations pauvres qui sont les premières victimes. Ceux qui le peuvent, quittent la zone de guerre pour se réfugier au Soudan, on compte déjà plus de 45 000 personnes déplacées.

Le conflit entre l’État régional du Tigré et l’État fédéral d’Addis Abeba a démarré lors de la campagne des élections législatives qui devaient avoir lieu en septembre 2020. Le gouvernement central a repoussé les élections à une date indéterminée à cause de la pandémie Covid-19. Les dirigeants du Tigré n’ont pas accepté ce report et ont accusé le Premier ministre, Abiy Ahmed de vouloir profiter de cette occasion pour prolonger son mandat qui devait se terminer en septembre. Du coup, l’État du Tigré a organisé des élections en septembre 2020 en passant outre la décision du gouvernement central. Mais cet acte de rébellion trouve sa source beaucoup plus loin que ces élections.

Au temps du régime féodal du roi Haile Sélassié puis à l’époque du dictateur Mengistu Haile Mariam, de 1974 à 1991, le pays était découpé en régions administratives et non ethniques. À la chute du régime militaire de Mengistu en 1991, c’est l’armée de guérilla du Front Populaire de Libération du Tigré (FPLT) qui a pris le pouvoir avec Meles Zenawi. Ce dernier a changé la constitution et instauré un découpage du pays en une dizaine de régions selon l’ethnie. Le caractère ethnique a été poussé au point que l’origine ethnique de chaque habitant était mentionnée sur sa nouvelle carte d’identité (cela a été supprimé plus tard). Chaque État régional a une certaine autonomie avec sa propre police et sa propre armée. Le pouvoir central est dirigé par un Premier ministre choisi parmi les leaders des régions-États tandis que le parlement central est constitué de députés de chaque région. Ce régime est caractérisé par une instabilité liée à l’équilibre des forces en présence. Les postes sont distribués en fonction de ces rapports changeants.

Les postes clés dans les banques et les ministères sont tenus par des éléments du FPLT. Ils ont profité de leurs positions pour dilapider les caisses de l’État et des banques et ramener un peu d’argent vers la région du Tigré et surtout vers sa capitale Mekelé. Cela s’est aussi traduit par une velléité sécessionniste de plus en plus affirmée et une défiance toujours plus ouverte vis-à-vis du pouvoir central d’Abiy Ahmed. La marche vers la guerre était déjà enclenchée.

À Addis Abeba, la population ne s’oppose pas à l’action du gouvernement dans l’ensemble. Elle ne veut pas être dirigée par des Tigréens. Le gouvernement n’hésite plus à mettre hors d’état de nuire les hommes qui occupent des postes clés. Les biens bancaires et immobiliers des Tigréens sont confisqués. Ces actions ne déclenchent aucune opposition dans la capitale. On peut dire qu’Abiy a les mains libres pour mener la guerre contre le Tigré.

Les conséquences pour l’ensemble du pays sont dures. Les populations pauvres, déjà touchées et affaiblies par la Covid-19, et la crise économique, subissent maintenant les horreurs de la guerre.

Les prix des denrées de première nécessité ont fortement augmenté. Le mil et le sorgo coûtent plus du double de l’année dernière. Il y a un fort mécontentement latent au sein de la population.

Dans les chantiers, les usines, les travailleurs de toutes les ethnies se côtoient quotidiennement. La gangrène de l’ethnisme ne se manifeste pas pour le moment. Mais dans ce pays multi-ethnique de plus de 100 millions d’habitants, les politiciens de tous bords sont capables de mettre de l’huile sur le feu en attisant les conflits entre les ethnies ou en en créant là où il n’y en a pas. Le risque est d’autant plus grand qu’il n’existe pas à l’échelle du pays, une organisation prolétarienne défendant les intérêts de l’ensemble des exploités.