Tchad : face à la crise qui perdure, les travailleuses décident à leur tour de descendre dans la rue
Des travailleuses, regroupées au sein du « Comité national des femmes de l’Union des syndicats du Tchad (UST) » sont entrées en lutte au Tchad pour réclamer le versement des salaires et des conditions d’existence décentes. Réunies le 28 novembre en assemblée générale à la Bourse du travail de Ndjaména, elles ont décidé le principe d’une « marche pacifique » nationale le 6 décembre prochain pour soutenir la « plateforme revendicative » de l’UST. À cette assemblée, la Présidente du Comité a notamment déclaré : «Les femmes souffrent beaucoup à cause de cette situation de grève sans salaires. Nos enfants ne vont plus à l’école, les femmes ne peuvent pas aller à l’hôpital, elles meurent en accouchant, les enfants meurent parce qu’ils sont malades, donc nous en avons assez !».
Ce n’est pas la première fois que les femmes tchadiennes interviennent dans la lutte politique et syndicale. L’une des plus marquantes manifestations de rue des femmes dans tout le pays remonte au 16 février 1992, à la suite l’assassinat de Joseph Béhidi, vice-président de la Ligue tchadienne des droits de l’homme par des sbires du régime. À l’annonce de sa mort, des milliers de femmes auxquelles se sont joints des jeunes, étaient descendues dans la rue, les mains posées sur la tête en signe de deuil, pour dénoncer le climat d’insécurité qui régnait dans le pays. Idriss Deby qui prit le pouvoir en décembre 1990, avec le soutien actif du gouvernement français, a eu peur de le perdre. Il n’a pas l’habitude d’hésiter à recourir à la violence contre ses opposants lorsque son régime est menacé mais les femmes ont aussi montré que lorsqu’elles sont en colère, elles ne se laissent pas intimider par les sbires du régime.
Rappelons que la « plateforme revendicative » de l’UST est un ensemble de mesures revendicatives des travailleurs comme l’augmentation générale des salaires pour faire face à la hausse incessante des prix des denrées de première nécessité, le versement régulier des salaires et le paiement des arriérés.
Au lieu de satisfaire ces revendications légitimes, le gouvernement n’a fait que jeter de l’huile sur le feu. Sous prétexte de faire face à la crise due à la baisse des revenus pétroliers, mais en réalité à cause de la dilapidation des fonds publics par Deby et son clan, le gouvernement a unilatéralement pris 16 mesures drastiques et impopulaires dont la suppression de 80 % des primes et indemnités des fonctionnaires et des agents de l’État pour une période de 18 mois. C’est ce qui a poussé l’UST à lancer une grève générale qui dure depuis trois mois. Le bras de fer UST-Gouvernement continue jusqu’à présent.
Pourtant l’argent pour payer tous les fonctionnaires et agents de la Fonction publique existe bel et bien, mais dans les poches de Deby, son clan et sa famille. Prenons par exemple le cas des deux neveux de Deby. L’un est placé depuis 2013 à la tête de la cimenterie de Baoré, localité située à 40 km de la ville de Pala, au Sud. Ce grand complexe industriel construit par une entreprise chinoise abrite à la fois les installations de l’usine, les bureaux et les logements pour les employés. Les 900 millions de francs CFA de recettes par mois que touche ce neveu vont directement dans un compte personnel. Sa propre entreprise, la SIMCOBAT s’est vue attribuer toutes les tâches au sein de la cimenterie : entretien, nettoyage, gardiennage, etc.
L’autre neveu a fait main basse sur les recettes que rapporte l’aéroport international de Ndjaména qu’il voulait privatiser mais son oncle Deby s’y est opposé. Néanmoins, il bénéficie gracieusement des 400 millions de recettes mensuelles.
Tout cet argent, s’il était confisqué, pourrait servir à payer en partie, voire même en totalité, les salaires des fonctionnaires et agents de l’État. Mais il ne faut pas attendre cela d’Idriss Deby car il y va des intérêts de son clan et de sa famille. Espérons qu’un vent de mécontentement de la part des travailleurs et des classes pauvres puisse balayer un jour ces sangsues au pouvoir et que les travailleurs aient toujours leur mot à dire indépendamment d’autres catégories sociales et surtout des politiciens qui pourraient s’appuyer sur leur lutte pour parvenir au pouvoir.