Éditorial

Malgré la répression, la contestation gagne du terrain

22 septembre 2016

ÉTHIOPIE

 

Depuis le début du mois d’août, l’opposition au gouvernement éthiopien prend de plus en plus d’ampleur. Quand le district de Wolkait, traditionnellement rattaché à la région Amhara, a été administrativement récemment attribué à la région du Tigré, cela a déclenché des manifestations. Cette décision n’a pas été acceptée par les habitants de la région.

En effet depuis des décennies, les Tigréens ont été bien accueillis dans cette région riche et fertile. Mais désormais ce sont des dirigeants fédéraux tigréens et non amharas qui administreront Wolkait et ses habitants. Lors des manifestations, les forces de Sécurité n’ont pas hésité à réprimer. Il y a eu plusieurs dizaines de morts et des centaines de personnes emprisonnées. Puis le mouvement de protestation s’est vite étendu au-delà de ce district. Maintenant ce sont les habitants des grandes villes de la région d’Amhara qui sont aussi descendus dans les rues pour montrer leur totale solidarité. Encore une fois la répression a continué.

Assez rapidement les populations de la région d’Oromia ont soutenu le mécontentement des Amharas en manifestant dans les grandes villes. Ces populations Oromos sont depuis des mois en lutte contre le gouvernement. En effet l’État accapare des centaines de milliers d’hectares de terre pour les vendre à de gros capitalistes en chassant les paysans. Dans l’affrontement avec les forces de Sécurité, il y a déjà eu des centaines de morts dans cette région. Cette fois-ci les Oromos ont fait cause commune avec les Amharas. Mais le gouvernement continue à réprimer.

En réaction à la férocité du pouvoir central dans ces deux régions, les grandes villes ont été déclarées « villes mortes ». Les habitants sont restés chez eux. Cela a eu beaucoup de succès. Dans certains endroits, les forces de Sécurité ont essayé de faire sortir de force les habitants de leurs maisons. Ceux qui résistaient ont été bastonnés, emprisonnés et même tués. Beaucoup de gens ont fui en brousse. Les autorités ne donnent aucun chiffre sur le nombre de victimes. Mais cela pourrait se compter par centaines ou par milliers.

Ce qui se passe ces jours-ci en Ethiopie est le résultat d’une politique menée par les dirigeants au pouvoir depuis vingt-cinq ans. En 1991, le Front de Libération du Tigré (TPLF) a pris le pouvoir en éliminant le dictateur Mengistu Hailé Mariam. Le successeur, Meles Zenawi, a créé le parti gouvernemental : le Front Démocratique Révolutionnaire des Peuples Éthiopiens (EPRDF) dont le TPLF demeure la composante dominante. Au cours des élections, des députés EPRDF ont de ce fait remporté la majorité au parlement. En même temps, les dirigeants ont subdivisé le pays en huit Fédérations autonomes correspondant environ aux huit grandes ethnies du pays. Le fait de subdiviser les régions par ethnie est nouveau dans son genre, en tout cas dans l’histoire du pays. Les Tigréens représentent 6% de la population alors que les Oromos et les Amharas sont à environ 60%. Ainsi ces deux ethnies considèrent que le gouvernement actuel n’est pas représentatif, et en plus, prend des mesures sans tenir compte de l’avis des populations.

Depuis vingt-cinq ans, ce gouvernement au pouvoir a pris soin de mettre à la tête de l’État et de l’administration, des hommes de l’ethnie Tigré, ainsi que les grands officiers de l’armée et de la police. De même, il est de notoriété publique que la région du Tigré a toutes les faveurs de l’État pour la construction d’écoles, d’université, d’hôpitaux, de routes et d’aménagement des villes.

Le pays, comme la plupart des pays d’Afrique, est frappé par la crise économique. Et cette politique ethniste et régionaliste exaspère encore plus les populations et ne fait qu’empirer la situation.

Pour l’instant, l’opposition s’exprime plus ouvertement à l’étranger, plus particulièrement aux États-Unis et en Europe, à travers la radio et la télévision. Le gouvernement tente d’empêcher ces diffusions en fermant les médias et en emprisonnant des journalistes. Il n’y arrive pas complètement. L’opposition de la diaspora organise des manifestations dans les grandes villes d’Amérique du nord et d’Europe. Elle essaie de briser le mur du silence des grandes puissances en dénonçant la répression qui sévit en Éthiopie.

C’est dans ce cadre de mécontentement qu’aux Jeux olympiques le marathonien éthiopien, Feyisa Lilesa, a franchi la ligne d’arrivée les bras levés et croisés en signe de protestation contre la dictature dans son pays.

Les États impérialistes d’Europe et d’Amérique font semblant de ne pas se préoccuper de cette situation car ils ne veulent pas mettre à mal le gouvernement éthiopien aux yeux du monde. Ce pays leur sert de gendarme en Afrique de l’Est comme avant-poste pour la lutte contre le terrorisme venant surtout de Somalie. Ce service rendu à l’impérialisme permet à l’Éthiopie de recevoir des aides financières et militaires.

Dans ce pays, il existe une classe ouvrière importante dans les zones industrielles et dans les chantiers. Lors des mouvements « villes mortes » elle a participé en arrêtant le travail et en restant à la maison dans l’administration et les services des grandes villes d’Oromia et d’Amhara mais pas à Addis-Abeba ni dans les grands chantiers. Cela montre que dans ce pays il manque une organisation de la classe ouvrière capable de rassembler les revendications des libertés démocratiques des peuples au-delà de leurs origines ethniques et régionales.