Éditorial

Les travailleurs de Zouérate ont une fois de plus montré leur force

22 avril 2015

MAURITANIE

 

Durant plus de deux mois (du 28 janvier au 3 avril), la SNIM (Société nationale industrielle et minière) a été paralysée par une grève générale. C’est la plus longue grève qu’ait connue cette société depuis sa création. Elle a été très largement suivie par l’ensemble des travailleurs de cette entreprise qui exploite les mines de fer de Zouerate et dont l’État mauritanien détient près de 80% du capital. Elle compte quelques 6.000 emplois directs, dont 4.500 à Zouérate. C’est le deuxième employeur du pays après l’État. C’est aussi la principale source de devises du pays avant les activités de la pêche et l’extraction du pétrole. Plus du quart du budget de l’État mauritanien provient des activités de la SNIM.

Ce qui a mis les travailleurs en grève, c’est le mépris avec lequel la direction de la SNIM a refusé d’appliquer un accord qu’elle avait pourtant signé en mai 2014 avec les syndicats des travailleurs pour un relèvement des salaires et des primes de rendement, entre autres. Elle croyait que les travailleurs resteraient sans réagir, mal lui en a pris. La colère a été telle que les ouvriers se sont mobilisés avec une vitesse et une force auxquelles la direction ne s’attendait probablement pas. Les grévistes ont affirmé haut et fort qu’ils étaient « prêts à aller jusqu’au bout », jusqu’à la satisfaction de leurs revendications.

Dans un premier temps, la direction a voulu jouer aux gros bras en licenciant d’un seul coup 400 grévistes. Loin de mettre fin au mouvement, cette sanction n’a fait que renforcer la combativité des grévistes. Du coup, la réintégration de grévistes licenciés a été inscrite dans la plateforme revendicative.

Par la suite, la direction a joué sur le pourrissement de la grève et sur la démoralisation des grévistes, mais ceux-ci ont tenu bon malgré la fatigue et le manque d’argent. Grâce à leur solidarité et au soutien de leurs familles, ils ont tenu bon. Ils ont fait des marches et des rassemblements devant la mairie pour sensibiliser les habitants et pour faire pression sur les autorités politiques. Ils ont envoyé une délégation dans le port minéralier de Nouadhibou (là où est acheminé le minerai de fer par le chemin de fer partant de Zouérate). Les ouvriers du port ont alors rejoint le mouvement de grève. C’est alors seulement que le gouvernement, ayant eu peur que le mouvement n’atteigne d’autres catégories de travailleurs dans la capitale, a décidé d’intervenir pour obliger la direction de la SNIM à reprendre les négociations avec les délégations syndicales « sous 48 heures ».

Les travailleurs ont obtenu la réintégration des 400 grévistes et le paiement des deux mois de grève (un mois payé par l’État et l’autre par la SNIM sous forme « d’avance sur production »). Dès que le Président mauritanien a annoncé la reprise des négociations entre les représentants des travailleurs et la direction de la SNIM, ce fut une explosion de joie parmi les travailleurs. Le lendemain, ils ont repris le travail la tête haute, mais ils ne sont pas près d’oublier que même quand la direction signe des engagements pour l’amélioration des salaires et des primes, elle ne les appliquera que si elle est contrainte par la mobilisation des travailleurs.

Ce n’est pas la première fois que les ouvriers de la mine de Zouérate se mettent en grève pour améliorer leurs conditions d’existence. Dès 1965 (à peine deux années après le remplissage du premier bateau minéralier partant vers la France) une grève avait éclaté contre l’inégalité de traitement en matière de salaire et de logement entre expatriés et locaux. Trois ans après, en mai 1968, une grève a paralysé la mine. L’armée mauritanienne est intervenue brutalement en faisant 8 morts et plusieurs blessés parmi les grévistes. Plusieurs autres mouvements ont eu lieu au cours des années 70 et 80 avec leurs lots d’arrestations et de licenciements.

Tous les dictateurs qui se sont succédé en Mauritanie depuis l’indépendance ont toujours craint la contestation ouvrière de Zouérate du fait de l’importance de la mine pour les ressources financières de l’État mauritanien. Cette mine de fer est vitale pour les caisses de l’État mais aussi pour l’enrichissement personnel des dirigeants de ce pays. Elle a aussi été une source d’enrichissement pour les grandes familles de sidérurgistes de France avant de laisser la place à des importateurs de Chine.

Quant aux travailleurs sans qui aucun minerai de fer ne pourrait sortir de terre, ils sont contraints de travailler comme des forçats avec un salaire de misère et méprisés par la direction de la mine et les autorités politiques qui les chapeautent.

Par cette récente grève de grande ampleur, les travailleurs ont montré qu’ils constituent une force sociale importante capable de faire plier un gouvernement. A travers de tels mouvements, peut naître un noyau de militants ouvriers prenant conscience de la nécessité pour les exploités de s’organiser politiquement pour combattre le capitalisme et pour construire un monde débarrassé de toute forme d’exploitation de l’homme par l’homme.