Incendie du marché Sandaga, vraisemblablement pas accidentel
SÉNÉGAL
Le vieux marché Sandaga (dont le bâtiment est âgé de 80 ans et situé au quartier du Plateau, à Dakar) a pris feu dans la nuit du vendredi 25 octobre, soit presque une semaine après sa fermeture «provisoire» décidée par les autorités pour raisons de sécurité. Les flammes ont attaqué les «cantines» (espèce de boxes alloués aux commerçants aux alentours du marché) consumant la quasi-totalité des marchandises. De nombreux petits commerçants ont vu partir leurs marchandises en fumée. Les pompiers sénégalais, mal équipés et de surcroit arrivés tardivement sur les lieux, n’ont pas pu faire grand-chose. Le feu a démarré vers 21 heures mais ce n’est que vers minuit que les autorités, constatant l’impuissance des sapeurs-pompiers de la capitale, ont fait appel à la marine française pour qu’elle y dépêche ses sapeurs. En colère, le délégué alimentaire du marché Sandaga a déclaré : «Je trouve que c’est une honte de voir nos sapeurs se faire huer. Quand on voit ceux qui nous avaient colonisés nous apporter de l’aide pour un simple incendie, cela pose problème. Même si je loue la bravoure de nos sapeurs-pompiers, je me demande si nous sommes encore indépendants quand on fait toujours appel aux Français pour nous secourir».
De nombreux commerçants, déjà furieux d’avoir été délogés manu-militari une semaine plus tôt, accusent les autorités d’avoir sciemment mis le feu au marché pour les empêcher de le réoccuper. Une centaine de commerçants ont manifesté leur colère et se sont affrontés aux forces de l’ordre. Il y a eu des blessés et des arrestations. Un commerçant en colère crie au «sabotage» : « Ils ne sont même pas capables de circonscrire le feu. Ils ne disposent que de trois camions citernes et on dit que l’un est tombé en panne. Ils le font exprès». Une autre commerçante déclare «Ce qu’ils font c’est du terrorisme. Nous allons entrer chez eux et les égorger tous un par un «.
Le maire de Dakar, Khalifa Sall, venu en visite sur le lieu de l’incendie, a failli être lynché par les commerçants en colère.
Il y a en effet de quoi être en colère contre la décision des autorités de fermer le marché sans avoir au préalable installé l’ensemble des petits commerçants sur un autre site et surtout sans avoir consulté ces derniers. Certes, le bâtiment abritant le marché Sandaga était très vieux et en très mauvais état. Il était fissuré, menaçait de s’écrouler et était devenu très insalubre, envahi par des rats et même des serpents. C’est depuis plusieurs dizaines d’années que cette situation est connue de tous, mais rien n’a été fait pour le restaurer alors que des taxes ont été prélevées régulièrement sur chaque commerçant. Les autorités avaient eu tout le temps d’emménager d’abord un autre site de remplacement avant d’évacuer les commerçants. Or la préfecture et la mairie ont choisi le week-end de la Tabaski (jour de fête religieuse ou les commerces sont fermés) pour fermer le bâtiment et le faire encercler par les forces de l’ordre.
Quelques tentes ont été aménagées dans l’ «ex-camp Lat Dior» (situé non loin du Palais de Justice) pour accueillir provisoirement les commerçants délogés. Mais nombre d’entre eux n’y ont pas trouvé de place. De nombreux commerçants de Sandaga craignent que le gouvernement veille définitivement se débarrasser du marché situé en plein cœur du Plateau et céder le terrain aux promoteurs immobiliers pour en faire une affaire juteuse. Cela n’a fait qu’augmenter leur frustration et leur colère contre le mépris des autorités. La réaction d’un de ces commerçants ruinés après l’incendie illustre bien cette colère : «Ce sont les autorités qui ont mis le feu pour nous obliger à partir. Ils ont profité de la fête de la Tabaski pour nous déguerpir. Et cela fait au moins une semaine que personne n’est entré ni sorti d’ici. Donc, s’il y a le feu, cela ne peut venir que d’elles. Je sais ce que je dis et je pèse mes mots. Je suis dans ce marché depuis 1981 et c’est la première fois que je vois cela. Depuis la veille de la Tabaski, ils ont fermé toutes les issues. Ce sont des millions de F CFA que j’ai gagnés au prix d’énormes sacrifices qui sont en train de partir en fumée. C’est pour cela que je pleure. C’est inhumain qu’ils nous interdisent d’accéder à nos cantines alors que nous sommes là depuis une heure. Qu’est-ce qui les empêche de nous laisser entrer et récupérer notre argent liquide ? Depuis le bas âge, je vis de mon commerce qui me permet d’entretenir ma famille…»
Toute cette colère s’ajoute à celle de la population excédée par l’incapacité du gouvernement à résoudre la question de la pénurie d’eau potable dans la capitale et ses environs ainsi qu’aux délestages incessants de l’électricité. Mais jusqu’ici, même si ici et là la colère se fait jour à travers des manifestations de mécontentement éparses, le pouvoir de MackySall qui a succédé à celui d’Abdoulaye Wade, n’a pas eu vraiment à faire face à un large mouvement de colère. Mais le mépris des autorités (celles d’aujourd’hui comme celles d’hier) à l’égard des aspirations des populations déshéritées dont les conditions d’existence ne font que s’empirer au fil des années, finira par leur exploser à la figure. C’est le moins qu’elles méritent.