Les crimes de l’esclavage et de la colonisation et la lutte qu’il faudra mener pour leur réparation
Le 25 février dernier, le CRAN (Conseil représentatif des associations noires) a assigné l’Etat français et le groupe Spie pour « crime contre l’humanité ». L’accusation porte sur la pratique des travaux forcés lors de la construction du chemin de fer Congo-Océan durant la période coloniale.
Cette ligne, longue de 500 kilomètres, qui relie Brazzaville au port de Pointe-Noire, a été construite entre 1921 et 1934 par la Société de construction des Batignolles (une entité qui existe toujours et qui fait partie du groupe Spie actuel) pour le compte de l’Etat français afin de donner un débouché maritime aux matières premières des colonies d’Afrique centrale et équatoriale (le coton du Tchad et de Centrafrique, le bois du Gabon, les oléagineux et le cuivre du Congo).
A cette époque-là, l’esclavage était déjà officiellement aboli depuis soixante-dix ans dans les lois de la France coloniale. Il a été remplacé par la pratique des « travaux forcés » à laquelle tous les colonisés étaient soumis selon le bon vouloir des autorités coloniales. Ce n’était rien d’autre que de l’esclavage déguisé. Les humiliations, la violence et les châtiments étaient des pratiques courantes. Nombreux étaient ceux qui en mourraient.
Pour construire ce chemin de fer qui nécessitait une main d’œuvre colossale que la seule colonie du Congo ne pouvait fournir, la France a fait venir de force des dizaines de milliers d’hommes dans la force de l’âge de ses lointaines colonies (Tchad, Centrafrique, Gabon, Sénégal). Au total il y a eu 125 000 « recrutés ». Nombreux sont morts avant même d’arriver sur les lieux des grands chantiers du Congo-Océan, à cause des conditions déplorables du transport. Ceux qui ont survécu au voyage ont vécu l’enfer des travaux forcés. A la maltraitance des contremaîtres, aux travaux pénibles et à la malnutrition se sont ajoutées les conditions déplorables dans les « camps ferroviaires », aggravées par le climat particulier à cette région équatoriale. L’écrivain français, Albert Londres qui a été témoin de la construction de ce chemin de fer écrit dans son livre Terre d’Ébène (1929) : « J’ai vu construire des chemins de fer, on rencontrait du matériel sur les chantiers. Ici que du nègre ?! Le nègre remplaçait la machine, le camion, la grue ? ; pourquoi pas l’explosif aussi ?? ». Ce fut une hécatombe.
Le nombre de morts se comptait par milliers. Les chiffres officiels font état de 17 000 morts, rien que pour les 140 premiers kilomètres. Selon l’Encyclopédie Universalis, la construction de cette ligne aurait coûté la vie « d’un homme par traverse « .
C’est la même Société de construction des Batignolles qui a eu le contrat de construction de nombreuses autres lignes dans les colonies françaises d’Afrique : entre Bône et Guelma en Algérie (1876) ; Dakar-Saint-Louis du Sénégal (1880). C’est également elle qui s’est vue confier l’édification de nombreuses infrastructures portuaires : à Madagascar, le port de Tamatave (1929-1936), Abidjan (1929-1938) et Djibouti (1929-1938), etc.
Le Canal de Vridi à Abidjan fut percé dans les mêmes conditions (par une autre entreprise) à partir de 1938. Le nouveau port fut inauguré en 1951. Le nombre de victimes est à compter par milliers.
Le système de travaux forcés a été officiellement aboli dans les textes par une loi déposée en 1946 par Houphouët Boigny (alors député de la Côte d’Ivoire). Elle a été adoptée en 1947 par le gouvernement français mais dans les faits, le système des travaux forcé a persisté jusqu’à bien plus tard dans les colonies d’Afrique, y compris dans le pays de celui qui fit voter cette loi au parlement français ! A Madagascar, jusqu’à la veille de l’indépendance il se pratiquait encore, à la seule différence que cela ne s’appelait plus « travaux forcés » mais « engagement » (que les Malgaches avaient coutume de désigner par « angazomay »).
Que des associations comme le CRAN ou le MIR (Mouvement international pour les réparations) réclament des réparations pour les descendants d’esclaves durant le Commerce triangulaire et de tous ceux qui ont subi des « crimes contre l’humanité » durant la colonisation, c’est plutôt une bonne chose. Leurs actions en justice ont au moins le mérite d’ouvrir les yeux de beaucoup de personnes sur les crimes du système esclavagiste et colonial.
Oui, la bourgeoisie, et pas seulement la bourgeoisie française mais la bourgeoisie anglaise, hollandaise, espagnole, portugaise, nord-américaine, les bourgeoisies de tous les pays d’Amérique latine devraient indemniser les descendants d’esclaves éparpillés un peu partout mais aussi les peuples africains. Il faudrait indemniser les descendants sur plus de trois siècles d’esclavage, pour la déportation de plusieurs millions d’Africains ! Il faudrait y ajouter tous les crimes les plus odieux qui ont été associés à cette barbarie ! Y ajouter aussi le préjudice moral et psychologique considérable qui perdure aujourd’hui au sein du peuple noir ! Comment évaluer ces préjudices ?
Demander à la bourgeoisie et à ses États ces réparations, c’est leur demander de se ruiner et se suicider ! Ou bien alors c’est demander une aumône ! Le CRAN demande par exemple à la France de construire des écoles et des dispensaires pour les descendants des victimes des travaux forcés du Congo-Océan, d’ériger des monuments au Congo pour symboliser cette tragédie. C’est purement symbolique, mais même cela est trop pour un grand nombre de dirigeants français qui aujourd’hui encore, veulent inscrire jusque dans les lois actuelles et dans les manuels scolaires « le rôle positif de la colonisation française » pour les peuples coloniaux.
La véritable réparation passera par la confiscation des mains de la bourgeoisie mondiale et de ses États tout ce qu’ils ont volé et pillé, par l’esclavage, par la colonisation et par le système capitaliste lui-même, véritable géniteur de l’esclavage et de l’exploitation moderne de l’homme par l’homme.
Si les descendants d’esclaves mais aussi tous les exploités et les pauvres, si tous ces esclaves modernes que sont les travailleurs exploités par les capitalistes s’armaient de cette volonté-là, ils pourraient récupérer les richesses accumulées sur leur dos, leur sueur et leur sang. Ils se feraient justice eux-mêmes et ce serait bien autre chose qu’une action purement symbolique ! Mais cela suppose une lutte de bien plus grande envergure que celle des associations qui réclament « réparation » : une lutte révolutionnaire contre les exploiteurs actuels pour les déposséder des richesses qu’ils ont volées, non seulement par l’esclavage mais par le colonialisme et l’exploitation sous toutes ses formes. C’est cette lutte que veulent incarner les militants communistes révolutionnaires.
Les associations qui portent cette revendication de « réparation » en justice se limitent volontairement à l’aspect symbolique de la réparation. C’est un horizon fort limité car leur objectif n’est pas de mettre en cause le fondement capitaliste du système d’esclavage et de la colonisation mais uniquement ses aspects moraux condamnés par les lois bourgeoises au titre de « crimes contre l’humanité ». Les communistes révolutionnaires sont bien plus radicaux que cela. Ils exigent une véritable et entière réparation ! Et cette réparation-là passe par la lutte révolutionnaire des exploités pour déposséder la bourgeoisie et collectiviser toutes les richesses et les moyens de production qu’elle a accumulés au fil des siècles d’esclavage, de pillages, et d’exploitation sans bornes des peuples coloniaux et des travailleurs des pays riches.
Pour obtenir de véritables réparations, les opprimés noirs comme tous les autres ne pourront faire l’économie d’une telle lutte, ou alors continuera le règne de la barbarie qu’incarne aujourd’hui l’esclavage moderne, le capitalisme.